Grève des Guignols
Ce matin, la radio nous annonce que les Guignols de Canal Plus seront en grève ce soir. Désireux d’en savoir davantage, j’ai aussitôt appelé la direction du spectacle, et j’ai pu avoir une courte interview avec une marionnette, qui n’a pas voulu préciser l’identité de son personnage :
Question. - Ainsi, pour la première fois de l’histoire des Guignols, vous serez en grève ce soir. Avez-vous conscience du traumatisme infligé ainsi aux téléspectateurs ? Non seulement c’est sans précédent, mais on va dire que vous vous prenez au sérieux !
Réponse. - Pourquoi ? Vous estimez que la grève à la SNCF est une grève sérieuse ?
Q.- Non, évidemment. Mais la SNCF n’est pas chargée de faire rire les usagers.
R.- Elle aurait du mal, c’est vrai. Seule ses publicités à la radio et la dimension de ses quais prêtent à rire.
Q.- Mais alors ? Qu’est-ce qui vous pousse à vous croiser les bras ?
R.- La médiocrité de ce qu’on nous fait faire, surtout depuis quelques années.
Q.- Depuis quelques années... Ça n’a pas toujours été ainsi ?
R. - C’est évident. Nous avons commencé il y a plus de vingt ans avec trois auteurs dotés d’un talent incontestable : Bruno Gaccio, Jean-François Halain et Benoît Delépine. Halain est parti le premier pour devenir scénariste de cinéma, Delépine a choisi d’émigrer au Groland, et Gaccio a fini par renoncer pour se mêler de politique. Depuis, les auteurs se sont succédé à un rythme accéléré, et les textes qu’on nous écrit ont changé de nature.
Q.- Vous pouvez préciser un peu ?
R.- Facile ! Tant que Gaccio est resté en place, les auteurs ne craignaient pas de concevoir, de temps à autre, un sketch qui, volontairement, ne faisait pas rire. Certains de ces textes vous faisaient même froid dans le dos, comme ceux sur le racisme. Vous n’avez probablement pas oublié ce pastiche du film de Benigni La vie est belle, où l’on voyait un Tunisien expulsé de France en compagnie de son petit garçon, et qui faisait croire à l’enfant que tout cela n’était qu’une excursion offerte par le gouvernement français. Violemment critique, ce sketch fustigeait les responsables et le racisme ambiant par le biais du comique détourné, et nous sommes fiers de dire qu’il a su atteindre son but.
Q.- Et aujourd’hui ?
R.- Plus rien de ce genre, depuis des années. Voyez ce qu’on nous impose à la place : d’interminables séquences chantées, dans lesquelles on s’efforce de ridiculiser Hollande et ses ministres en leur faisant interpréter des ritournelles insipides, mal écrites, mal jouées, mal chantées. Pour ne rien dire des insistantes parodies de Stromae ou de Nicolas Hulot, toutes calquées sur le même modèle. Où est l’humour, où est la véritable satire, où est l’esprit ? Les auteurs ne restent pas plus de quelques mois, ils défilent à toute allure, bien que royalement payés. On suppose qu’ils ont honte de ce qu’ils font, et du fait que les Guignols ne sont plus la référence du rire intelligent à la télé.
Q.- Vous croyez qu’ils vont survivre longtemps ?
R.- Rien ne s’y oppose, le public a cessé de faire la différence. Vous avez vu quels sont les humoristes qui triomphent à la télé ? Anne Roumanoff, Gaspard Proust, Nicolas Canteloup, Jérémy Ferrari ! Et Kev Adams ! Un de ces jours, ils vont ressusciter le Bébête show, vous verrez.