Heureux les infirmes ?
Aujourd’hui sort un film, Grigris, que je n’irai pas voir. Le réalisateur, Mahamat-Saleh Haroun, est le seul Tchadien enregistré sur le marché, et j’ai vu deux de ses longs métrages, un assez bon, Daratt, malgré un scénario un peu trop complaisant, et un moins bon, Un homme qui crie, lequel manquait à ce point de vraisemblance et de subtilité qu’à la fin un père jetait à la rivière le corps de son fils ! Il n’y a donc plus de crocodiles, dans les fleuves africains ? Ils sont tous devenus ministres ?
Grigris montre un infirme, un danseur avec une jambe paralysée. Or je fuis les films (ou les pièces) qui tentent de nous attendrir sur le sort des handicapés ! Ne vous méprenez pas, je ne dédaigne pas les malchanceux de la vie, ni ne les dénigre, et je ne suis pas comme Luis Buñuel, qui détestait les aveugles. Ce que je hais, c’est l’alibi qui consiste à les montrer en spectacle, donc à faire de l’exhibitionnisme, avec, en supplément ce cliché abominable : vouloir nous faire avaler qu’être infirme, c’est une chance formidable, et que les intéressés, ravis d’être ce qu’ils sont, nous dépassent en tout. Je n’ai donc pas aimé Elephant man, ni Rain man, ni Forrest Gump, je me suis abstenu d’aller voir Le huitième jour (Daniel Auteuil et un handicapé mental), et ne goberais pas un scénario qui nous décrirait un peintre aveugle reproduisant La ronde de nuit, ou un musicien sourd capable de composer la Neuvième symphonie.
(Oh pardon, on me souffle dans mon oreillette que ça s’est produit dans la réalité)
Mais enfin, la mode est bien établie, et j’attends de pied ferme, quoique sans intention de le voir, un film dans lequel un danseur unijambiste dansera Le lac des cygnes mieux que Noureev et Baryshnikoff réunis, ou qu’un rappeur de cinéma, natif du 9-3 – autre handicapé, mais mental –, trouvera la solution du problème de la fusion nucléaire, qu’on cherche en vain depuis 1945. Mais puisque le public a la bonté de gober les escroqueries à coloration pseudo-humaniste, continuons. D’ailleurs, la pub télévisée fait ça quotidiennement, et tout le monde, gavé, a l’air de trouver cela très bien...