L’enfer, c’est le froid
Je sais bien qu’après ma mort, j’irai en enfer. La multiplicité de mes péchés m’y voue. Songez qu’il m’est arrivé, une fois, de manger de la viande un vendredi, et même de dire « Flûte ! », un jour où je m’étais cogné le petit orteil contre un pied de table. Donc, je n’y couperai pas.
Mais que sait-on de l’enfer ? On nous apprenait au catéchisme que les damnés y rôtissaient pour l’éternité dans des flammes tout aussi perpétuelles, pendant qu’un Satan cornu et à la queue fourchue les lardait de coups de trident. Eh bien, je vais vous le dire : je n’y crois pas ! Non que je mette en doute les histoires que raconte le clergé catholique, je m’en garderais bien, vous me connaissez. Mais ce n’est pas assez horrible, comme punition. Je ne raffole pas de la chaleur excessive, et je ne passe pas mes vacances sous les Tropiques (en fait, c’est surtout à cause des moustiques et du reggae, deux nuisances radicales) ; mais le froid, c’est pire, pour mon goût : je déteste l’hiver, je hais la neige, et l’idée que je puisse aller à la montagne me semble d’un loufoque dépassant le raisonnable. Pour moi, la montagne, c’est bien joli, mais vu de loin. De très loin. J’ai vu cette semaine un film suédois qui se passe à la montagne, dans les Alpes, et je n’ai pas envié les malheureux skieurs, quoique ces farfelus s’étaient mis tout seuls dans le pétrin, état que je ne risque pas de connaître. La même semaine, j’ai vu un autre film où un type tombait amoureux d’une Suédoise, et, pour lui prouver son amour, il acceptait d’entrer en caleçon dans un trou creusé dans la glace, en Laponie. La scène se terminait par un baiser que je n’ose qualifier de brûlant. Brrr... Moi, si la personne que j’aime – à supposer que ça existe – me demandait une telle preuve d’amour, ce serait un cas de rupture aussi instantanée que définitive.
Il a existé une pièce de théâtre due à Martin Sherman, Bent (mot qui signifie, soit courbé, soit tordu), pièce qui a d’ailleurs été portée à l’écran en 1997 par les Britanniques, avec David Bowie, Jude Law et Clive Owen, et qui se passait dans le camp nazi de Dachau (un camp de concentration, pas d’extermination). On y voyait un homosexuel, Max, qui s’était fait passer pour un Juif (!), portait donc l’étoile jaune, et qui tombait amoureux d’un camarade, Horst, lequel portait, lui, l’étoile rose des gays. Or une scène très longue les montrait face à face, debout, dehors et dans la neige, avec interdiction de se toucher, s’avouant mutuellement qu’ils s’aimaient et imaginant ce qu’ils (se) feraient s’ils n’étaient pas dans cette situation. Il m’a semblé qu’on pouvait difficilement imaginer une épreuve pire, moralement et physiquement. Qui n’a pas eu froid ne peut pas comprendre.