Langue française : « opposer » un veto

Publié le par Yves-André Samère

« Le Canard enchaîné » est la propriété de ses rédacteurs, situation exceptionnelle prévue dans ses statuts, et qui empêche toute mainmise, sur le journal, d’un quelconque financier qui aurait envie de faire joujou avec la presse, comme un vulgaire Charles Foster Kane (dans le film d’Orson Welles), ou… comme dans la vie – et souvenez-vous d’Hersant ou des Dassault père et fils.

Le directeur du « Canard », lui, est élu par les rédacteurs. En général, ils élisent un « homme de plume », comme on ne dit plus depuis longtemps, et si possible talentueux, comme le fut Roger Fressoz (qui signait André Ribaud). Malheureusement, la dernière élection, en 1992, a porté à la tête du journal un rédacteur qui était entré dans la maison en 1976, et qui semble n’avoir aucun talent d’écriture, puisqu’il ne rédige quasiment jamais le moindre article. Être le fils d’un écrivain célèbre, Robert Gaillard, n’est pas une garantie, et le talent n’est pas héréditaire.

C’est donc sous la direction de Michel Gaillard que le journal a cessé d’être drôle, et qu’il est devenu un simple organe d’information, légèrement orienté vers la malveillance systématique. Son succès n’a pas diminué, néanmoins, mais c’est parce que ses lecteurs y trouvent des révélations que les autres journaux, liés par leurs intérêts financiers, ne publient pas (on sait que « Le Canard » n’a jamais passé la moindre publicité). C’est sans doute aussi ce qui a fait que les articles du journal sont désormais « rewrités » (réécrits par un correcteur spécialisé), donnant au « Canard » tout entier cette tonalité uniforme qui lui a fait perdre toute originalité. Autrefois, cette particularité n’existait pas, et l’on reconnaissait les auteurs à leur style.

Il faut dire aussi que les rédacteurs actuels ont grand besoin d’être corrigés, et parfois, le correcteur lui-même ! Voyez ainsi, dans le numéro de cette semaine, en haut et à droite de la page 4, cette référence à une commission qui « aurait opposé son veto » à une demande de la police. Ah, le beau pléonasme ! Eh oui, un veto est la faculté de refuser définitivement ou temporairement un acte administratif ou législatif ; ainsi, le mot contient déjà l’idée d’opposition. On n’oppose donc pas un veto, on se contente de le prononcer.

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