Le coup de Pinsseau
À propos de ma notule de l’autre jour sur la Légion d’Honneur, honte aux journaux qui ont oublié de signaler un promu d’importance, le juge Pinsseau. En effet, je me serais fait un devoir de mentionner cet illustre inconnu si j’avais eu connaissance de la liste complète.
Illustre inconnu, oui, mais seulement pour les Français de 2010. En 1975, il ne l’était certes pas, inconnu. Il s’agissait en réalité d’un juge d’instruction qui a bénéficié d’une gloire aussi éclatante que méritée, pour avoir émis le non-lieu le plus burlesque de l’histoire de la Justice en France. Il avait eu, en 1975, à se prononcer sur la culpabilité ou l’innocence d’un commando de la DST (Direction de la Surveillance du Territoire), lequel commando, en décembre 1973, avait posé clandestinement des micros-espions dans les tout nouveaux bureaux du « Canard Enchaîné », au 173 de la rue Saint-Honoré – un quartier que je connais assez bien (il est à la fois voisin de la Comédie-Française et de mon Centre des Impôts !). On les avait alors surnommés « les plombiers ». Surpris nuitamment par Escaro, un dessinateur du journal qui passait par hasard dans la rue et que la lumière allumée avait intrigué – ces charlots n’avaient même pas pensé à être plus discrets –, ils furent à l’origine d’un fameux scandale qui coûta au ministre de l’Intérieur Raymond Marcellin son poste ministériel : le président Pompidou le mit rapidement au chômage. Pas pour avoir espionné. Pour s’être fait bêtement pincer.
Mais la Justice, saisie par « Le Canard », avait son mot à dire. Ce fut le juge Pinsseau, à présent chevalier de la Légion d’Honneur, qui se chargea de prononcer ce mot : il estima que les bureaux d’un journal étant publics (!), s’y introduire pour y poser des micros-espions n’avaient rien de délictuel. Les plombiers étaient donc innocents. Et le nom Pinsseau devint synonyme de gomme.