Lettres interdites

Publié le par Yves-André Samère

Tous les dictateurs ne sont pas de complets abrutis comme le dernier Duvallier en Haïti (le célèbre Bébé Doc), ou le dernier Kim en Corée du Nord. Il y en a eu d’intelligents, comme Hassan II au Maroc – et je ne prétends pas que son pays était un paradis, car c’était un effroyable assassin, capable d’envoyer au bagne un enfant de trois ans et demi, Abdellâtif Oufkir, et il a été soupçonné d’avoir expédié son père Mohammed V au paradis d’Allah, car il brûlait de régner au plus vite : dans ce dernier cas, le complet abruti, c’est son fils et successeur, Mohammed VI !

Ainsi, la Turquie a connu un dictateur éclairé, Mustapha Kemal, dit Atatürk, dont l’œuvre de réformateur est considérable. Alors qu’il a imposé la laïcité et donné le droit de vote aux femmes (en 1930, bien avant la France !), on a surtout retenu l’indice le plus visible, celui consistant à « désarabiser » son pays, puisque les Turcs ne sont pas plus arabes que les Iraniens, et a interdit qu’on emploie l’alphabet arabe. C’est donc l’alphabet latin qui devenu officiel, en 1928, et le seul autorisé, avec cinq lettres supplémentaires, mais... trois en moins, le Q, le W et le X. Ainsi, en Turquie, on n’écrit pas Taxi, mais Taksi. On comprend très bien que ces trois lettres n’étaient pas indispensables, puisque les mêmes sons peuvent se transcrire autrement, mais, à vouloir trop faire, on tombe dans l’excès, car ces trois caractères ont été... interdits sous peine de prison, par l’article 222 du Code pénal ! Si bien qu’un Kurde s’est tapé dix-huit mois de prison pour avoir envoyé au Premier ministre Erdogan une lettre contenant ces trois lettres. L’interdiction pourrait d’ailleurs être levée prochainement.

Pourquoi un Kurde ? Parce que le Kurdistan, province à cheval sur la Turquie, l’Irak, l’Iran et la Syrie, est une épine dans le pied des dirigeants de ces quatre pays, et que les Kurdes sont donc d’éternels opposants aux régimes qui y sont établis. En tout cas, en Turquie, Atatürk avait interdit les noms de famille kurde, la langue kurde, et jusqu’au mot kurde ! Et donc, se servir des lettres interdites est un moyen, pour les Kurdes, de manifester leur opposition à leurs maîtres. Et, réciproquement, interdire ces lettres est un moyen de leur faire savoir qu’on ne les craint pas, au sommet de l’État.

Écrire ci-dessous une ânerie quelconque :