Mot le plus con : aujourd’hui, « incontournable »

Publié le par Yves-André Samère

Pardon pour la grossièreté de la première partie du titre, ainsi que pour la nullité du jeu de mots. Mais c’est que, depuis vingt ans au moins, je rêve de voir mise à l’antenne une émission de télévision qui porterait ce titre. On la ferait piloter par Alain Rey, et on expliquerait aux téléspectateurs, anesthésiés depuis belle lurette, en quoi il parle désormais le français comme une vache espagnole –  ou  le conseille aux autres, ce qui est plus grave.

Dans mon collimateur personnel, le mot incontournable pourrait ouvrir la série. De temps à autre, depuis quelques années, je m’amuse à semer dans mes petits écrits la courte remarque suivante : « Les cons disent incontournable ». Et c’est vrai que la bêtise qui a présidé à la genèse de ce mot est himalayesque. Réfléchissons un instant.

Si l’étymologie a encore un sens, il devrait signifier « qui ne peut pas être contourné ». Cette notion devrait donc s’appliquer à un objet, voire une personne, de taille énorme, tellement énorme que le temps mis à le contourner (ou la contourner, histoire de contenter les féministes) serait prohibitif. Tenez, l’Himalaya auquel je faisais allusion plus haut, par exemple – quoique le survoler soit possible et plus rapide. Ou Guy Carlier avant son régime amaigrissant. Certes, c’est tiré par les cheveux, mais concevable.

Or on qualifie d’incontournable à peu près n’importe quoi. Et l’on peut lire dans la presse des références à tel acteur incontournable, ou à telle recette de cuisine incontournable, ou à une exposition de peinture incontournable, ce qui n’a plus aucun sens. Plus comique, ce mot n’a d’équivalent dans aucune langue, et peut être remplacé par une foultitude d’autres, tels que capital, indispensable, infranchissable, impraticable, insurmontable, indépassable, nécessaire, obligatoire, vital, essentiel, fondamental, et j’en oublie sûrement, qu’on peut adapter à n’importe quelle situation. Je ne vais pas jusqu’à dire, comme Camus, que « mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde », mais c’est certainement faire preuve d’inculture... et de panurgisme.

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