Nègre, un métier de rêve

Publié le par Yves-André Samère

Naguère, on évoquait à peine leur existence. Peut-être parce que leur surnom, « nègre », gênait tout le monde aux entournures. Aujourd’hui, non seulement ils se montrent et participent à l’agitation médiatique sans laquelle nul ne saurait exister aux yeux de sa concierge, mais on donne même le montant de leur salaire, pourtant mieux gardé, jusqu’ici, que le mode de fabrication d’une arme de destruction massive irakienne.

Le nègre travaille un peu partout, mais surtout chez certains éditeurs spécialisés dans l’autobiographie (excusez-moi, à ce mot, je pouffe) des vedettes de l’actualité présente ou passée. Ces éditeurs sont surtout Michel Lafon, mais aussi Bernard Fixot et sa maison d’édition XO, où pas mal d’hommes politiques, de sous-écrivains et de vedettes ont publié : Mireille Darc, Max Gallo, Guillaume Musso, Jean-Pierre Périer, Romain Sardou, et... Sarkozy himself. Mais il y a des nègres aussi chez des éditeurs plus honorables comme Robert Laffont, Le Cherche-Midi, Le Rocher, First et Calman-Levy.

Le nègre, vous trouverez rarement son nom sur la couverture d’un livre. Parfois, il est cité pudiquement comme « collaborateur » de l’auteur présumé, ce qui est le summum de l’euphémisme. En riant sous cape, on les qualifie aussi d’accoucheurs de stars. Encore faut-il avoir la candeur d’appeler « stars » des gens comme Benjamin Castaldi, Marc-Olivier Fogiel ou Michel Drucker... On ne les nomme pas, donc, mais certains – des ingrats, c’est sûr – commencent à en avoir par-dessus la tête de passer à la caisse tout en restant anonymes. Souvenez de l’avant-dernier film de Claude Lelouch, Roman de gare, qui justement, parlait de ce sujet : Dominique Pinon, las de servir de nègre à la romancière illustre Fanny Ardant, menaçait de tout révéler, et la vedette des lettres, pour éviter cela, lui mettait le pied à l’étrier et en faisait une vedette à son tour. (Ensuite, elle se suicidait en se jetant dans une cage d’escalier, mais ça, c’est Lelouch)

Le nègre est donc un inconnu, sauf exception : Dan Franck, qui fut un grand ami de Françoise Sagan, a écrit l’autobiographie de Zidane, or c’est lui-même un écrivain connu et très estimé. On pense qu’il a voulu s’amuser un peu. Les autres ne sont reconnus que dans leur milieu : Jean-François Kervéan, journaliste et nègre pour Loana Petrucciani, Michel Drucker, Jean-Claude Brialy, Hervé Vilard ; ou encore Lionel Duroy, nègre de Jean-Marie Bigard, Sylvie Vartan, Nana Mouskouri. Leur salaire ? Mirobolant, d’où le succès de cette profession. Pour deux mois de travail, cela rapporte au minimum dix mille euros, mais la prétendue autobiographie de Loana, Miettes, a rapporté cent mille euros à Jean-François Kervéan, plus 2 % sur les droits d’auteur. Et une pinte de rire à ceux qui, étant dans la confidence, ont suivi les interviews de la vedette en promotion qui venait faire mousser SON livre. Pensez-y la prochaine fois que Sylvie Vartan viendra se faire couvrir de fleurs par Stéphane Bern au Fou du Roi sur France Inter, vous n’en apprécierez que davantage l’émission.

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