Originalité journaleuse
Certes, certes, certes, j’ai quelques notions du travail de journaliste, puisque j’ai commencé à l’âge de dix ans (j’étais très mauvais, et il ne reste aucune trace de mes petits écrits, Dieu merci !), que j’ai été metteur en page d’un petit journal informatique, correcteur quelques semaines dans un mensuel qui se disait « révolutionnaire », et rédacteur en chef de deux journaux consacrés à une série télévisée célébrissime. Et, modestement, c’est un peu ce que je continue ici, quoique sans illusions sur l’énorme influence que j’exerce auprès de mes millions de lecteurs.
Hélas, hélas, hélas, je n’ai pas « fait » d’école de journalisme, d’où mon style plat, sans imagination, et dépourvu de tous ces clichés qui font le charme des textes de mes chosefrères – comme disait San-Antonio.
Je suis donc incapable de manier les expressions toutes faites dont ils émaillent leurs articles, expressions qui reviennent sans arrêt, du style, après un accident ou assassinat, « Ce soir, toute la population de Fouilly-les-Oies est sous le choc ». Mais il faut comprendre le journaleux de base : il se singularise en faisant exactement comme tous les autres, un peu comme les teenagers expriment leur personnalité en s’habillant tous de la même façon, en écoutant les mêmes pseudo-musiques, en mangeant exactement les mêmes déchets dont ne voudrait pas un rat d’égoût, et en pratiquant le même infra-langage fondé sur une vingt-cinquaine de mots – dont ils ignorent l’orthographe.
Par conséquent, s’il me venait l’idée bizarre de citer le nom d’Anelka, je serais incapable de dire que c’est « l’enfant terrible du sport français », cliché que j’ai lu et entendu une bonne cinquantaine de fois au cours du dernier week-end, et je me contenterais de dire que c’est un footeux dont la cervelle a malencontreusement atterri dans ses chaussures à crampons. Si un homme politique qui s’est tu durant plusieurs semaines prend soudain la parole en public, je n’écrirai sans doute pas qu’il « fait sa rentrée » (je déteste la notion de rentrée, sans doute parce que je n’aimais pas l’école, qui vous fait perdre un temps précieux, alors qu’on serait si bien, à lire Jules Verne ou les aventures de Tintin dans la cabane à outils), je me contenterai probablement de remarquer « Tiens, il y avait longtemps qu’on ne l’avait pas entendu, celui-là ! ». Et si le président de la République vient à faire parler de lui dans on ne sait quel pince-fesses à caractère international, je n’en dirai probablement pas un mot vu que je m’en fiche royalement, et surtout pas que désormais « la France joue dans la cour des Grands ». Du reste, dans toutes les écoles où je suis passé, je n’ai jamais vu une cour des grands, il n’existait qu’une seule cour pour tout le monde – ce qui permettait aux grands de martyriser les petits, comme dans toute bonne société.
Et puis, pour rester dans une ambiance scolaire, où le trouve-t-on, le fameux « tableau noir » dont tout le monde parle ? Cette expression n’a jamais été utilisée que par des journalistes, je ne l’ai entendue dans aucune salle de classe. Et ce, d’autant moins que les tableaux sont verts depuis cinquante ans !