Ouf ! « The interview » est sorti
Supposez que vous soyez le patron d’une grosse société japonaise (pardon pour le pléonasme), que je ne nomme pas pour éviter de faire de la publicité à Sony Chan ; société qui fabrique un peu de tout, et qui a, dans les années quatre-vingt, acheté le studio de cinéma Columbia. Supposez encore que vous veniez de faire fabriquer un film qui vous a coûté 44 millions de dollars, mais que vos experts estiment que ce film, une comédie grossière et vulgaire sur le projet CIAesque d’assassiner le dictateur nord-coréen Jong-il Kim – je l’écris à la manière française, Kim étant le nom de famille, mais les Nord-Coréens l’écrivent dans l’autre sens – va se ramasser lamentablement, parce que trop mauvais. Mais supposez enfin que vos conseillers en communication vous proposent LA solution : répandre le bruit que la Corée du Nord menace de commettre des attentats dans les salles de cinéma qui, aux États-Unis, projetteraient votre film. Bref, qu’elle nous refait au cinéma le chantage de l’Iran lors de la sortie d’un très bon livre de Salman Rushdie, Les versets sataniques. Dans ce cas, que faites-vous ?
C’est très simple : d’abord, vous annoncez que, désireux de garantir la sécurité du public, vous renoncez à sortir le film, aussi bien en salles qu’en vidéo ou sur Internet. Tout comme pour le livre de Rushdie, que les librairies renonçaient à mettre en vitrine (aujourd’hui, on le trouve partout en édition de poche). Bien entendu, la nouvelle se répand, et partout on parle de vous. Plutôt en mal, car on ne croit pas à votre sincérité, mais peu importe, mieux vaut cela que le silence, et cette manifestation de désintéressement et d’altruisme ne dure qu’une petite semaine au bout de laquelle vous faites savoir que, finalement, après avoir bien réfléchi et compte tenu de ce que VOTRE public trépigne d’impatience, vous cédez à la pression de vos admirateurs, et sortez le film... le jour de Noël, la période la plus favorable du point de vue du tiroir-caisse. Joli coup de bluff !
La plupart des commentateurs, et certains sont plutôt bien renseignés ou capables d’utiliser leur cervelle, pensent que la Corée du Nord, attaquée dans le film en la personne de son chef d’État, n’est responsable de rien dans cette fumeuse histoire. D’ailleurs, le film, dont tout le monde, sans l’avoir vu, a clamé que c’était un navet, ne montrait pas de quoi fouetter un chat. Je le sais, je l’ai vu, et j’en ai fait une courte critique immédiatement, hier matin. Mais si vous êtes de ceux qui préfèrent juger par eux-mêmes, vous trouverez le film quelque part, je ne sais où puisqu’il a disparu, mais téléchargeable en une vingtaine de minutes. Je vous préviens que, s’il a bien été sous-titré en français, le résultat est désopilant, car ce travail a été fait par un robot qui traduit mot à mot de l’anglais vers le français, beaucoup plus mal que le ferait un cancre en classe de sixième. Mais on peut rire de tout.