Ouverture et cohabitation
Ne confondons pas cohabitation et ouverture à gauche. Lorsque Mitterrand, président de la République, dut digérer le fait que les socialistes avaient perdu les élections législatives de mars 1986, il fut bien obligé de prendre un Premier ministre de droite : s’il ne l’avait pas fait, la nouvelle Assemblée aurait très vite renversé le gouvernement de gauche alors en place, celui de Fabius, installé depuis juillet 1984. Il nomma donc Chirac à ce poste, et la cohabitation fut passablement houleuse, leurs dissensions s’étalant au grand jour lors de la campagne pour la présidentielle de 1988. Le président ne feignit jamais de se rallier à la politique des nouveaux dirigeants, multipliant au contraire les peaux de banane sous leurs pieds. Et lorsque la comédie se renouvela en mars 1993 et qu’il dut nommer Balladur comme Premier ministre de droite, il en fut de même, alors que les relations entre les deux hommes étaient plutôt meilleures – ou plus hypocrites, comme vous voudrez. La troisième cohabitation, entre Chirac, devenu président, et son Premier ministre Jospin, qui avait été son adversaire au second tour de l’élection présidentielle, fut tendue mais courtoise, jusqu’à ce que Jospin commette l’affreuse boulette de dire à des journalistes, qui s’empressèrent de le publier, que le chef de l’État était « vieux, usé, fatigué » : tout le monde lui tomba dessus, et il perdit l’élection.
Avec Sarkozy, pas de cohabitation, mais un nouveau truc, « l’ouverture à gauche ». Avec cette originalité que le nouveau président n’exige pas, des hommes dits « de gauche » qu’il a embauchés – ou débauchés, là encore, c’est comme vous voulez –, il n’exige pas, disais-je, qu’ils abandonnent leurs convictions. Au contraire, il n’a cessé de prétendre que « la rupture » qu’il voulait incarner (parlons au passé, vous verrez au prochain remaniement) avait besoin de toutes les tendances politiques du pays. Lisez son discours du 26 août 2009 : « Une des faiblesses de notre pays est de considérer que la seule noblesse est de rester dans son camp, son courant, sa faille, parfois sa secte et, quand une majorité gagne, elle se prive des talents qui se trouvent dans l’opposition ». Propos de bon sens, peut-être sincères sur le moment. Mais que contredisent les obstacles élevés ensuite entre la théorie et la pratique telle qu’il la conçoit !
De sorte que les « ministres (ou sous-ministres) d’ouverture » (Bernard Kouchner, Jean-Pierre Jouyet, Martin Hirsch, Fadela Amara, Jean-Marie Bockel) et les personnalités investies d’une de ces fumeuses « missions » (Jack Lang, Jacques Attali, Michel Rocard, Michel Charasse, Max Gallo et quelques autres), invités à rester eux-mêmes tout en demeurant sans aucun pouvoir, n’ont eu aucune occasion de mettre leurs convictions en pratique.
De là à penser que l’opération n’a servi qu’à les neutraliser et à semer la zizanie dans l’opposition, il n’y a qu’un pas. Mais enfin, cette opération est terminée : la comédie a pris fin, le torchon brûle entre le président et sa majorité, il est temps de donner un vigoureux coup de barre à droite si l’on ne veut pas se faire grignoter son électorat par Marine Le Pen. Aux ministres d’ouverture, on va montrer la porte. Ils n’auront rien gagné dans cette farce, et ils auront perdu toute crédibilité.