Regardez la télé, mais dans les coins
Le soir, peu après 8 heures, je ne rate jamais sur Canal Plus le Petit Journal de Yann Barthès. Il me semble que Barthès, dont j’ignore s’il est journaliste, fait ce que les membres de cette corporation oublient de faire : ne pas lâcher un politique se dérobant aux questions qu’on lui pose, et s’obstiner avec humour et sans la moindre complaisance.
Inévitablement, c’est la bête noire du personnel politique, et lorsque ses reporters débarquent sur un des lieux où nos chers représentants s’exhibent à des fins que la morale réprouve (se faire mousser pour être réélus), c’est un peu la panique doublée d’un fort agacement : ils savent que leurs moindres propos, leurs moindres attitudes, leurs moindres ridicules seront montés en épingle le soir même. Ainsi, le plagiat de Rama Yade est devenu un feuilleton, et Barthès fait lire en direct, chaque soir, un extrait de ce que, pour composer son récent livre, elle a piqué à droite et à gauche, faisant apparaître l’ex-secrétaire d’État pour ce qu’elle est : un imposteur !
Néanmoins, futile comme vous me connaissez, je m’intéresse aussi à tout autre chose que le contenu de l’émission. Ainsi, le public du Petit Journal. Et pour moi, c’est un régal. J’ai honte, mais je persiste.
D’abord, Barthès a suivi l’enseignement de Denisot, dont peu à peu il pique la place : filtrer les invités composant ledit public. C’est admirable : derrière l’animateur, on ne voit que de frais minois. Tous jeunes et beaux ! Les moches et les vieux, ça n’existe pas, sur Canal Plus. Outre cela, certains sont narcissiques à ne plus en pouvoir. Faites comme moi, tâchez de repérer ceux qui regardent fixement la caméra, s’efforçant de rester dans son champ et d’y faire bonne figure. C’est du plus haut comique. Il y a trois jours, Barthès avait eu la mauvaise idée de poser sur son bureau la photo du nouveau Premier ministre belge, un sympathique rigolo qui se balade avec un nœud papillon rouge. Ce faisant, il masquait sans le vouloir un jeune garçon assis derrière lui dans le public. Ce qui désespérait cet éphèbe, lequel ne pouvait plus s’admirer sur les moniteurs qui agrémentent le studio. Que croyez-vous qu’il fit ? Ne pouvant écarter la photo encombrante, il passa plusieurs minutes à se hausser sur son banc, de sorte que le haut de sa tête apparaissait, par intermittences, au-dessus du portrait du Premier ministre belge, tel un ludion émergeant à la surface de l’eau, un court instant, avant de replonger.
Cette torture prit fin quand Barthès retira l’obstacle du champ de la caméra, et le jeune homme, ravi, put enfin jouir de sa propre vision. La persévérance est toujours récompensée.
Mais si je mentionne cet incident minuscule, c’est parce qu’il est moins futile que je le prétendais au début. En effet, le garçon que je prends présentement pour tête de Turc agit exactement comme ces courtisans que les caméras de Yann Barthès montrent quotidiennement, et qui, dans le sillage du président de la République ou de son futur successeur, ne le lâchent pas d’une semelle, afin de figurer sur les prises de vues. Au risque, parfois, d’être écartés par les gorilles du chef, qu’on filme cette humiliation, et que l’enregistrement demeure à jamais dans le placard aux archives, dont la chaîne diabolique saura l’extraire le moment venu afin de le lui resservir en direct. On a ainsi vu récemment Jack Lang, qui s’efforçait de rester près de François Hollande pour sembler être de ses proches, se faire expulser par un garde du corps. Et cela, croyez-moi, vaut le temps qu’on passe à regarder ces émissions.