Sachez traduire... pour les ploucs !
Je viens de voir à la FNAC la réédition d’un livre d’Herman Melville, que les employés modèles de ce supermarché ont collé dans le rayon gay. Très judicieux : s’il était à sa place, dans la grande littérature, les clients ne se précipiteraient pas dessus. C’est vrai, ça, c’est qui, d’abord, ce Melville ? Le fils, ou le frère de Jean-Pierre Melville ? Bref, un peu de racolage n’a jamais tué personnne. Je ne vous donne pas tout de suite le titre du livre, mais, futés comme je vous sais, et amateurs de lecture rapide (en diagonale de préférence), vous avez déjà sauté quelques lignes et trouvé de quoi il s’agit.
Précisons qu’il s’agit d’une nouvelle traduction, et que le traducteur se nomme Jérôme Vidal, aidé dans la circonstance par une traductrice dont j’ai oublié le nom. Or le cher Jérôme se croit obligé de se fendre d’une préface, pour bien expliquer que ses prédécesseurs étaient des brêles et que lui est le meilleur. Enfin, il ne l’a pas dit tout à fait de cette façon. En général, on écrit plutôt qu’on a voulu « être plus fidèle au style de l’auteur », et si un jour vous dénichez un traduttore-tradittore qui prétend avoir voulu être infidèle au style de l’auteur, prière de me le faire savoir dans l’urgence, comme ils disent à la télé.
Je n’ai pas acheté ce livre, je l’ai seulement feuilleté, pour tenter de trouver où diable on avait inscrit le titre original de l’œuvre. Eh bien c’est simple : nulle part ! Je n’ai pas acheté ce livre, car je le possède depuis longtemps, mais dans une autre édition, bilingue, achetée après avoir vu l’excellent film que Peter Ustinov en avait tiré, avec lui-même dans le rôle du capitaine Vere, Robert Ryan dans celui du maître d’armes John Claggart – le méchant de l’histoire –, et Terence Stamp dans celui de Billy. Ça y est, vous avez deviné, il s’agit de Billy Budd, qui a aussi donné lieu à un opéra de Benjamin Britten.
En fait, si le film s’appelle bien Billy Budd, le livre de Melville dont il est issu – et qui fut son dernier – porte le titre Billy Budd, foretopman. En anglais, un foretopman est un gabier de misaine, le mât de misaine étant celui de l’avant, sur les voiliers. En clair, Billy est chargé, avec ses camarades, des voiles du mât d'avant.
Eh bien, notre nouveau traducteur a dû craindre que personne, parmi ses lecteurs, ne sache ce qu’est une misaine, d’une part, et un gabier, d’autre part. C’est vrai, ça, tous ces termes techniques, c’est d’un rasoir... Alors il a traduit le titre par « Billy Budd, matelot ». C’est-y pas plus simple ?
On sait que l’édition, en France, souffre d’une terrible crise des traducteurs. Pas un livre qui ne soit criblé de fautes grossières. Bientôt, à force de publier des inepties, il y aura en prime une crise des lecteurs.