Une pléiade d’hommes honnêtes

Publié le par Yves-André Samère

Bien malin qui pourrait dire si De Gaulle était de droite ou de gauche ! En fait, il détestait tous les partis et fustigeait dans ses discours « le régime des partis »... ce qui ne l’a pas empêché d’en créer un, une fois retiré dans son village de Colombey : ce fut le Rassemblement du Peuple français, qui, par l’intermédiaire de ses députés, s’appliqua à saper le fonctionnement de la Quatrième République en provoquant crise ministérielle sur crise ministérielle et en faisant tomber les gouvernements successifs. On a bien compris ensuite pour quelle raison : De Gaulle voulait provoquer son retour, et surtout que le peuple, repentant, le supplie de revenir ! Il dut attendre douze ans...

C’est que De Gaulle ne pardonnait pas aux partis de ne pas l’avoir retenu lorsque, le 20 janvier 1946, il fit mine de vouloir démissionner du Gouvernement provisoire qu’il avait instauré à la Libération. Prétexte : le Parti Communiste désapprouvait la nouvelle Constitution qu’il voulait proposer. Or, lui parti à la retraite, les choses continuèrent sans l’immense sauveur de la Nation (derrière un micro, à Londres), et il en fut profondément vexé.

Quand De Gaulle, revenu entre-temps « aux affaires », en 1958, redémissionna le 27 avril 1969, son ancien Premier ministre fut élu à sa place : Georges Pompidou. Lui était ouvertement de droite, bien qu’ayant été socialiste dans sa jeunesse. À vrai dire, il n’avait qu’aversion pour la Résistance, et les gaullistes ne l’aimaient pas ; surtout, ils ne lui pardonnaient pas d’avoir un peu provoqué la chute de De Gaulle en se déclarant prématurément candidat à la future élection présidentielle (ce qui rassurait la bourgeoisie, et donc l’incitait à voter contre le Général au référendum où il se ramassa une gamelle, ce fameux 27 avril 1969). Cette déclaration de candidature n’était qu’un prêté pour un rendu, puisque le Général s’était vengé du succès électoral de Pompidou aux législatives (il avait fait triompher le parti gaulliste), et l’en avait remercié en le limogeant cet homme qui commençait à lui faire de l’ombre. En foi de quoi, lesdits gaullistes avaient tenté de salir... madame Pompidou, la malheureuse, en faisant circuler des photos-montages très grossiers (j’en ai vu deux) où elle semblait participer à une partouze. On est bien honnête, dans ce milieu.

Élu président de la République, Pompidou n’avait pas envie d’avoir les gaullistes dans une sorte d’opposition larvée, aussi prit-il comme Premier ministre le plus gaulliste des gaullistes, authentique résistant et qui avait gagné ses galons de général à cette occasion : Jacques Chaban-Delmas, maire de Bordeaux. Hélas, Chaban était d’une espèce rare, un gaulliste de gauche. C’est pourquoi Chaban, qui voulait mener une politique très sociale (il appelait ça « la Nouvelle Société ») agaça très vite le président, qui se mit à guetter l’occasion de le virer de Matignon.

Cette occasion lui fut offerte par « Le Canard enchaîné », journal qui se prétend lui aussi de gauche, mais qui joua un bien vilain rôle dans cette affaire. On ne sait qui, peut-être Giscard, peut-être un autre honnête homme, lui fit parvenir la feuillle d’impôts du Premier ministre. Il s’avéra que, deux ou trois années de suite, Chaban n’avait pas eu d’impôts à payer sur le revenu, car il bénéficiait d’une mesure tout à fait légale, inventée par le minitre des Finances Giscard, et qu’on appelait avoir fiscal (cela n’existe plus). Chaban n’avait rien fait de mal, mais le scandale provoqué par « Le Canard » fut tel que Pompidou put sauter sur l’occasion, et le renvoya. Pierre Messmer, ancien légionnaire, le remplaça et resta jusqu’à la mort de Pompidou. C’était d’ailleurs un homme honnête. Il y a beaucoup d’hommes honnêtes, dans ces histoires politiques.

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