Vie pratique : éjecter un dictateur
Ici, on est très friand de ces fabricants de théories qui viennent pérorer dans les radio-télés pour y caser leurs élucubrations. Le zozo du jour est un certain Jean Hatzfeld, journaliste-écrivain, qui est venu ce matin sur France Inter dire à Patricia Martin tout, tout, tout sur la mentalité des dictateurs africains, sous le prétexte qu’il est né à Madagascar.
Diagnostic sur Gbagbo, le dictateur ivoirien qui préfère massacrer la moitié de la population du pays plutôt que d’accepter d’avoir été battu à l’élection présidentielle de l’automne dernier : en Afrique, lorsque un Chef se retire, il s’attend à devenir un Ancien, un Sage, et on n’a pas offert à Gbagbo cette possibilité, c’est pourquoi il s’accroche au pouvoir.
Sic, resic et reresic. Je vois au moins deux faits qui contredisent radicalement ce point de vue fumeux.
D’abord, Gbagbo se fiche bien d’être intronisé en tant que Sage ou Ancien ; il n’a jamais eu d’autre intention que de se venger du premier président de Côte d’Ivoire, Félix Houphouët-Boigny, qui l’avait fait jeter quelques mois en prison comme opposant, puis avait saisi un prétexte pour annuler sa candidature à la présidence, et ce en pleine campagne électorale de 1990. Outre la vengeance (posthume, Houphouët étant mort en 1993, deux ans avant que Gbagbo soit enfin élu), il est surtout animé par l’obsession du pouvoir et des avantages matériels qui vont avec. Aussi s’est-il prodigieusement enrichi, comme tous les dictateurs africains, et il n’entend pas laisser tout cela à un autre, surtout s’il le hait personnellement – ce qui est le cas, Allassane Ouattara, élu président, ayant été dans le camp d’Houphouët comme Premier ministre.
Ensuite, l’idée qu’un Chef se retire quand on lui « offre » la perspective de devenir un Sage ou un Ancien est ubuesque, et battue en brêche par le cas du même Houphouët, qui, toute sa vie, a tenu à son surnom de Vieux Sage de l’Afrique, était surnommé « le Vieux » même à la télévision gouvernementale (qu’il contrôlait entièrement), mais n’a néanmoins jamais cédé une parcelle de son pouvoir de Chef. En somme, il cumulait les deux états. Et j’entends d’ici le rire tonitruant de Gbagbo si on lui « offrait » de reprendre le surnom d’Houphouët en échange de son départ.
Comme on dit, les faits sont plus puissants que le rois. Ou que les journalistes !