Jurez de ne plus gérer !
Jeune homme, lorsque votre mère vous enjoignait de ranger votre chambre, vous rétorquiez sans doute « Ça va, lâche-moi les baskets, faut qu’je termine cette partie ». Et, à votre sœur qui vous reprochait de n’avoir pas rincé la baignoire, vous conseilliez probablement de se mêler de ses, euh... de ses affaires.
Madame, lorsque monsieur votre époux vous demandait si le dîner serait bientôt prêt, je ne doute pas que vous lui lanciez un « Si t’es pressé, chéri, remplace-moi, et je me charge de regarder la télé à ta place. Mets pas la table, surtout, ça te f’rait des ampoules ».
Monsieur, lorsque madame votre épouse vous priait d’aller chercher le pain vu que cette tête de linotte a ENCORE oublié d’en rapporter du supermarché, je suppose sans trop de risques, surtout si vous êtes méridional, que vous lui fredonniez un petit air dans le style « Aujourd’hui peut-être, ou alors demain » – grand succès de Fernand Sardou, le père de Michel.
Je suis à peu certain de tout cela. Mais je suis encore plus certain que jamais, à toutes ces injonctions, et si elles dataient de quelques années, aucun d’entre vous n’a répondu « C’est bon, je gère ! », car cette expression n’est en vogue que depuis ce dernier lustre, et, à ce jour, vous n’êtes peut-être pas encore contaminés. Pourtant, elle gagne du terrain de manière inquiétante, et tout le monde, petit à petit, en vient à gérer quelque chose, sans se préoccuper de ce que le verbe gérer signifie « assurer la gestion d’une entreprise », et pas simplement « faire ce qu’on vous demande ». La vanité ambiante est parvenue à un tel niveau que chacun ou presque se voit dans la peau d’un gestionnaire, sans se demander en quoi ce travail consiste, et quelles capacités il exige. Nous en sommes au stade où planter un clou, arroser une plante verte, faire la vaisselle (ou commander qu’on change la moquette de votre bureau si vous êtes PDG de Radio France) est mis sur le même plan que diriger la Régie Renault ou concevoir le trajet du prochain TGV de votre région.
N’en doutez pas, cette mode idiote passera comme les autres. Déjà, on ne dit plus beaucoup « au niveau de » ou « c’est vrai que », mais comme il est tout aussi évident que chaque mode qui tombe dans les oubliettes est bientôt remplacée par une autre tout aussi stupide, je crains la suite.