Lettre à un rhinocéros

Publié le par Yves-André Samère

Cher rhinoceros,

Je t’écris cette lettre, que tu liras peut-être si tu en as le temps. Excuse-moi de ne pas t’appeler par ton nom, que je ne connais pas. Et sache qu’à mon grand regret, ce sera la seule que je t’écrirai, car j’ai l’intention ensuite de te tuer.

Naturellement, étant un membre de cette espèce supérieure qu’on nomme « l’Humanité », accoutumée à tuer les animaux sans se poser beaucoup de questions, tu comprendras que je m’abstienne de te présenter mes regrets anticipés. Mais je veux bien, pour te consoler par avance, te dire la raison qui me pousse à t’expédier dans l’autre monde.

Vois-tu, depuis quelque temps, mes quatre femmes, qui partagent ma case dans le petit village d’Afrique où je suis né et que je n’ai jamais quitté, murmurent entre elles en pilant le manioc pour préparer mon attiéké quotidien. Et elles y mêlent des rires sous cape qui ne me trompent pas. Je sais, pour les avoir discrètement écoutées, qu’elles se plaignent de ce que mes performances viriles ont un peu baissé depuis plusieurs mois, or je ne peux rester dans cet état.

J’ai consulté le sorcier, qui m’a révélé qu’on pouvait y remédier en absorbant une potion magique dont il a le secret, mixture qui se prépare en mélangeant de la poudre de corne de rhinocéros avec du lait de coco et un soupçon de venin de mamba. Il m’affirme qu’il a expérimenté ce remède sur une multitude d’hommes de mon village, qui se sont bien gardé d’en parler, tout comme je ne devrai pas en souffler mot si j’accepte de tenter moi aussi l’expérience.

Comme c’est là une proposition qu’on ne peut pas refuser, il me reste à me procurer moi-même de la corne de rhinocéros, car le sorcier ne doit pas chasser sous peine de perdre ses pouvoirs (il ne doit pas non plus cultiver la terre, ni faire quelque travail que ce soit – un peu comme les prêtres chez les toubabs).

Dans ces conditions, tu admettras qu’il ne me reste aucune autre solution que de te mettre à mort et de prélever sur ton corps la précieuse corne. Je peux te garantir que ce sera le seul prélèvement que j’opèrerai sur toi, et que les hyènes se chargeront du reste.

Je sais que tu me comprendras. D’avance, merci de ta collaboration.

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