Naissance et mort du film X
Vous allez être surpris, probablement, quand je vous aurai dit que les films X n’existent pas. Ou plutôt, en France, qu’ils n’existent plus. En fait, ils sont morts à l’âge de 21 ans – un bel âge pour cesser d’exister.
Les médias, toujours au courant de tout et à la pointe de l’actualité, confondent volontiers « films X » et films pornographiques. Or il existe au moins deux raisons de les distinguer, ce que j’expliquerai dans une prochaine notule (oui, moi aussi, je peux faire du teasing). Mais commençons par le commencement : cette désignation, films X, vient des pays anglo-saxons, où l’on qualifie de X-rated les films qu’on entend interdire aux moins de 17 ans. Oui, dix-sept – ce n’est pas une de mes malencontreuses fautes de frappe. Chez nous, la limite d’âge a fluctué, elle est passée de 16 à 18, mais l’interdiction aux moins de 18 ans est devenue rarissime. Il faut dire qu’interdire jadis aux moins de seize ans un film comme Et Dieu... créa la femme, c’était croquignolet ! Et puis, localement, les maires pouvaient – et peuvent toujours – interdire la projection d’un film dans leur commune, pour des raisons souvent injustifiables et largement électorales.
La catégorie X a été instaurée chez nous en 1975, quand Giscard, élu président l’année précédente, était encore en veine de plaire au peuple en lui octroyant des libertés que le gaullo-pompidolisme, notamment en matière de sexe, lui refusait avec hargne. Giscard et son ministre de l’Intérieur et ami proche, Michel Poniatowski, décidèrent donc de supprimer la censure cinématographique, laquelle avait beaucoup tiré sur la ficelle durant des décennies : on était allé, sous De Gaulle, en 1965, jusqu’à INTERDIRE un film anodin, La religieuse, de Jacques Rivette et d’après le roman de Diderot, parce que l’histoire un peu teintée de lesbianisme déplaisait à cette affreuse bigote qu’était Yvonne De Gaulle, devant qui rampait le gouvernement tout entier (et qu’aujourd’hui, nostalgie, chacun porte aux nues, mais c’est une autre histoire). La décision du tandem Giscard-Ponia porta momentanément ses fruits, et des cinémas pornos naquirent un peu partout, y compris dans des salles importantes ; on y vit même des festivals consacrés à ce type de films, dont certains étaient assez drôles, et un grand cinéaste comme Youssef Chahine déclara, dans une interview, « Je rêve de faire un film porno ». Inutile de dire qu’en Égypte, il n’avait aucune chance d’atteindre ce but... Le seul cinéaste de qualité qui réussit cette gageure fut Paul Vecchiali, avec Change pas de main – film parfois retitré astucieusement « Change pas demain », sic.
Hélas, ce libéralisme de façade ne dura qu’un temps, car le droitiste président de la République, qui avait beaucoup mécontenté ses électeurs par toutes sortes de mesures sociales, devait songer à sa réélection future. On donna dès lors dans l’hypocrisie afin de réduire l’abondance soudaine des films pornos, et on appliqua les bonnes vieilles recettes : taper au portefeuille. Cela se fit par une « Loi de finances pour 1976, n° 75-1278 du 30 décembre 1975 (J.O. 31 décembre 1975) », loi qui ne prétendait nullement moraliser la production et l’exploitation, mais simplement instaurer... une série de taxes coupant les vivres aux producteurs ! On a du courage politique, chez nous.