Drame en cinq actes
Voici comment, larguant la maison de convalescence où l’on mangeait et dormait si mal, je suis rentré chez moi aujourd’hui :
- Acte I : dans la chambre voisine de la mienne, l’inutile générateur de bips se détraque, et on ne peut plus l’arrêter. Le technicien de la maison est incapable de réparer, et il fait appel à un technicien de l’extérieur, qui viendra quand il pourra. Il est plus de huit heures du soir, et, redoutant une nuit blanche, je décide d’aller dormir ailleurs. Muni d’une couverture et d’un oreiller, je trouve, dans le bâtiment voisin, une petite salle d’attente déserte, avec un fauteuil confortable et des chaises. J’éteins la lumière et m’installe. Pas terrible, mais supportable.
- Acte II : j’ai fait l’erreur, ne pouvant m’endormir, d’aller voir dans mon couloir si les choses se sont arrangées, mais non, les bips continuent. Hélas, un vigile et une fille de service m’ont vu pointer le nez au bout du couloir, et me suivent jusqu’au lieu où je tentais clandestinement de dormir. Explications, et tous deux se montrent plutôt conciliants. Mais une infirmière arrive et raconte que l’avarie a été réparée. Je suis les trois personnages jusqu’à mon couloir, et, en effet, le bip ne retentit plus. Je me recouche dans mon lit, mais les conversations de couloir persistent jusqu’à dix heures et demie ou onze heures.
- Acte III : d’autres bips, provenant d’une autre chambre, me réveillent. Il est deux heures du matin, et aucune infirmière ne se rend là où on l’appelle. Je cherche la responsable, la trouve, et elle prétend que cela ne dure que depuis dix minutes – elle ment – avant de couper le bruit infernal. Je commence à envisager de partir dès le matin, renonçant à la prise de sang du lundi.
- Acte IV : je suis décidé à partir, et prends à témoin les deux jeunes infirmières – dont Pascale qui m’a à la bonne – venues me prendre ma tension et mon taux de glycémie. Elles conviennent que les bips sont très pénibles. Il est sept heures du matin. Je me lave, m’habille et patiente un peu.
Acte V : comme je m’en doutais, la doctoresse qui me suit depuis mon arrivée est absente pour tout le week-end. Pas question d’attendre son retour, au risque de devenir cinglé, et je vais annoncer au type, sans doute un docteur, qui occupe son bureau que je pars. « Pour où ? », demande-t-il comme si ce n’était pas évident. Je rétorque que je rentre chez moi, et ne donne aucune justification, car le type est désagréablement agressif. Il me dit que je ne peux pas le faire, qu’« un hôpital n’est pas un hôtel » (en effet, dans un hôtel, on n’empêche pas les gens de dormir), et qu’il me faut la permission de mon docteur, qui ne sera là que dans deux jours. Ben voyons. J’ai la loi pour moi puisqu’elle prévoit que tout citoyen a le droit d’aller où il veut (s’il ne vit pas en prison), donc je ne discute ni ne négocie, et confirme que je pars. Il me traite alors de « connard ». Bonheur d’avoir affaire à des gens si bien élevés. Mais, comme il n’a pas pu me retenir, je ne serai pas le « Connard enchaîné », le plante là, ramasse mes affaires et file au bureau d’accueil pour commander un taxi.
Alors qu’il y a ici des gens que j’aime bien, je n’ai pu dire au revoir à personne, puisque tout le monde est absent pour le week-end. Un taxi arrive et m’emmène à Paris, sur une autoroute embouteillée par les départs en vacances.
Ouf ! De retour chez moi. Mon téléphone fixe déborde d’appels inaboutis, et ma boîte aux lettres, de publicités. Mais peu importe. Il est midi, j’allume la radio, la corvée est terminée.