Avignon : « Les damnés »
En 1969 sortait un film de Luchino Visconti, Les damnés, titre français malencontreux, puisqu’il reprenait celui d’un film de Joseph Losey sorti six ans auparavant. On eût mieux de lui conserver l’un de ses deux titres originaux, La caduta degli dei ou Götterdämmerung – ce qui signifie « La chute des dieux » ou « Le crépuscule des dieux », évidemment empruntés à un opéra de Wagner. C’était le premier film des trois qu’il fit avec Helmut Berger, mauvais acteur et individu dépravé dont il s’était entiché. Ce n’est pas le film de Visconti que je préfère, loin de là, mais le sujet était sérieux : comment le nazisme s’était appuyé sur les grands industriels allemands pour consolider sa dictature, passe-moi la rhubarbe, je te passerai le séné (ou je te tiens, tu me tiens par la barbichette).
Le scénario de Visconti et de ses co-scénaristes Nicola Badalucco et Enrico Medioli a été repris pour la scène par l’auteur belge Ivo van Hove, qui l’a mis en scène au Festival d’Avignon, spectacle qui sera repris à la rentrée à la Comédie-Française – même si on se demande comment cela pourra se faire, attendu que le plateau de ce théâtre, qui n’est pas le Palais des papes, est beaucoup trop petit pour accueillir une mise en scène aussi spectaculaire.
Le spectacle est puissant, mais abonde en détails curieux, voire un peu racoleurs. Ainsi, tous les personnages que le régime nazi élimine sont emmenés vers une demi-douzaine de cercueils rangés à droite de la scène, s’y allongent, et, une fois le cercueil refermé, on continue de les voir se débattre, filmés par une caméra vidéo qui se trouve à l’intérieur. Le massacre des S.A. par les nazis est représenté vu de haut, sur un immense écran montrant l’orgie homosexuelle que Visconti avait filmée sans complications, au bord d’un lac. Ici, la scène se termine par deux comédiens se vautrant tous nus sur une scène – modestement inondée pour figurer le lac –, puis Guillaume Gallienne jette au visage de l’un d’eux, Denis Podalydès, un seau de sang, avant que l’aspergé soit emmené dans son cercueil.
Quant au personnage de Martin, très important, celui que jouait Helmut Berger, il est le seul de la dernière scène, au cours de laquelle lui aussi se met tout nu et se couvre des cendres des personnages précédemment sacrifiés, avant de saisir une kalachnikov et de... mitrailler le public ! Bien entendu, la totalité des critiques en ont conclu que l’auteur voulait y voir un symbole des attentats actuels, mais ce genre de rapprochement est habituel chez les plumitifs.
Entendons-nous : j’ai l’air de me moquer, mais ce spectacle mérite d’être vu, en dépit de ses excès. Au moins, ce n’est pas médiocre. Vous pouvez le voir en téléchageant la vidéo avec Captvty. Les acteurs sont très bons, notamment Loïc Corbery et Christophe Montenez, l’interprète de Martin. Et c’est plus court que le film !