« Gerboise bleue » et « Gerboise verte »

Publié le par Yves-André Samère

Gerboise bleue est un film de Djamel Ouahab, sorti en France le 11 février 2009. Il n’a eu aucun succès, et a été présenté de nouveau au cours d’une séance spéciale à l’Hôtel de Ville de Paris le 17 février 2010, à laquelle j’avais été invité. En effet, l’actualité avait remis sous nos yeux l’histoire de cette horreur : deux jours plus tôt, le gouvernement français avait enfin admis que soit mis sur la table le dossier jusqu’ici secret des victimes des expériences françaises sur la bombe atomique, commencées au Sahara quelques mois avant l’indépendance de l’Algérie, le 13 février 1960, et qui furent poursuivies après. Cette séance avait été organisée par l’Association des Vétérans des Essais Nucléaires français (l’AVEN) et la mairie de Paris. « Gerboise bleue » était le nom de code des expériences atomiques souterraines, et « Gerboise verte », celui des expériences dans l’atmosphère, qui les avaient précédées.

On apprenait dans ce film quelques détails instructifs : lors des négociations qui devaient déboucher sur le cessez-le-feu du 19 mars 1962, le gouvernement français, alors dirigé par Michel Debré, avait exercé un chantage sur les négociateurs du FLN – le Front de Libération Nationale algérien : nous mettons fin à la guerre, mais vous nous louez (pour quatre ans, semble-t-il) une zone circulaire de mille kilomètres de rayon autour de Reggane, où se trouvait le centre technique, pour que nous y poursuivions nos expériences sur la bombe atomique. Les négociateurs avaient accepté et signé les accords.

La première expérience sur une bombe au plutonium, le 1er mai 1962 à Beryl, fut catastrophique, car, prévue pour être souterraine, elle ne le fut pas : des failles s’ouvrirent dans la montagne, un nuage radioactif s’abattit sur toute la région, les populations sahariennes qu’on n’avait pas mises à l’abri furent contaminées, et les neuf soldats français qu’on avait envoyés pour les avertir de se mettre à l’abri le furent également. De ces neuf soldats contaminés, nous en voyons deux dans le film, dont un horriblement mutilé : il a perdu toute la moitié gauche de la face, son orbite est creuse et communique avec le nez, et il subit encore greffe sur greffe. Il s’appelle Lucien Parfait, et je n’oserai pas vous montrer sa photo, c’est insoutenable (il en existe une dizaine sur Google, à vous de jouer si ça vous chante). Nous voyons aussi des enfants, deux petites filles de Reggane, infirmes à vie bien que nées quarante ans après l’explosion. Soit dit en passant, deux ministres français furent aussi contaminés le même jour, Pierre Messmer, ministre des armées, futur Premier ministre, et Gaston Palewski, ministre de la Recherche et des affaires atomiques. Ce dernier mourut d’une leucémie vingt-deux ans plus tard, persuadé que c’était une conséquence de sa contamination. Messmer lui-même mourut d’un cancer, mais seulement en 2007.

Bien entendu, lorsque la France mit fin aux expériences et rendit le Sahara, on ne nettoya pas tout. Le Sahara était devenue une poubelle radioactive, et l’est encore. Le plus surprenant, dans ce film, est qu’un nom n’est prononcé qu’une fois, celui de De Gaulle, et sans que la phrase, dans la bouche d’un avocat algérien, soit le moins du monde accusatrice. Pourtant, tout cela n’a eu lieu que par sa volonté de posséder l’arme nucléaire. Passe encore, mais que dire du fait que les populations locales n’ont été ni secourues ni soignées, que les soldats encore survivants ne soient ni indemnisés ni pris en charge financièrement pour leurs traitements médicaux, et... qu’on ait envoyé, au moins à l’un d’eux, des émissaires de l’armée (en civil) lui faisant comprendre qu’il avait intérêt à se taire ? Ce chef d’État, De Gaulle, déifié par tout une fraction de la population française et dont TOUS les hommes politiques actuels se réclament encore, ne devrait-il pas être envoyé à sa place : dans les poubelles de l’Histoire ?

Que dire enfin de ces soldats français qu’on a pris comme cobayes, afin de mesurer les effets de la radioactivité sur le corps humain ? Cela paraît incroyable, mais c’est vrai, et reconnu aujourd’hui par tous les gouvernements français, même s’ils se réfèrent constamment au gaullisme. Qui, en fin de compte, a utilisé les mêmes procédés que les États-Unis (ce dont je parlerai une autre fois).

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