Indigestion de Tom Cruise
Il y a deux semaines et deux jours, quand j’ai retrouvé mon chez moi après vingt jours d’hôpital, j’ai naturellement allumé la télé pour voir Quotidien, l’émission de Barthès. Pas de chance, nous étions en plein dans la période Tom Cruise. Non seulement il y avait eu une avant-première la veille, bourrée d’extraits de séquences déjà vues durant les semaines précédentes (Cruise faisant une cascade, Cruise évoluant à moto, Cruise mangeant son déjeuner debout dans la rue, et autres faits hautement intéressants), mais les trois émissions suivantes ne parlaient guère que de lui, puisque la vedette avait daigné venir se faire interviewer par Barthès, en direct et sous les hurlements de spectateurs en délire.
Il faut dire que c’était justifié, ce délire : il est tellement « sympa », ce Tom ! Sourire aussi inoxydable et ineffaçable que celui de Najat Vallaud Belkacem ; approbations faussement modestes à tous les éloges que Barthès, sans trop de subtilité, lui balançait ; revisionnage de sa première scène au cinéma, en short, à dix-huit ans ; assurance qu’il n’était jamais doublé dans ses cascades (tu parles ! Ce gars n’a jamais vu Jean Marais dans L’aigle à deux têtes, et Jeannot faisait ça tous les soirs au théâtre) ; et autres répliques apprises par cœur sous la férule de ses agents de communication.
Or jamais, vous m’entendez, JAMAIS, ni Cruise ni Barthès n’ont prononcé les mots Scientologie et Nicole Kidman. Et si cela vous a échappé, c’est que, soit vous êtes maladivement distrait, soit vous débarquez de la planète Mars, après un séjour de quarante ans au moins. Donc, j’explique.
Il est évident que, pour obtenir la venue de Cruise sur son plateau, Barthès a dû accepter quelques conditions sine qua non posées par les communicants de la vedette. D’abord, le flatter, uniquement, attendu que le vrai Cruise, connu pour sa bêtise abyssale, ne saurait répondre à aucune question sur un sujet qui ne serait pas lui-même. Pas question, surtout, d’évoquer le fait que Cruise avait atteint le grade d’OT8 (Operating Thetan Level 8), le plus élevé dans la hiérarchie de la secte d’escrocs créée par Lafayette Ron Hubbard, dont il fait sans cesse, mais ailleurs, la publicité – je la connais, j’ai eu affaire à ces malfrats. En outre, on sait peu que Nicole Kidman, qui a été mariée à Cruise (ils ont tourné ensemble Eyes wide shut, l’abominable navet de Stanley Kubrick), a divorcé parce qu’elle en avait par-dessus la tête que son cher époux ne lui parle que de la Scientologie. Douloureux souvenir...
On n’a pas non plus entendu évoquer la générosité de Cruise, car, même au microscope électronique, on n’en décèle aucune trace. Des acteurs et chanteurs généreux, à Hollywood, on en trouve à la pelle, et je vous en parlerai un autre jour, ce qui risque de vous surprendre un peu. Mais vous constaterez que son nom à lui n’est jamais évoqué.