Sauver les films jetables
Né officiellement en décembre 1895 sur les Grands Boulevards parisien, le cinéma n’a été, au début, qu’un amusement à bon marché pour le petit peuple, et l’on n’accordait aucune valeur aux films, d’autant moins qu’ils étaient périssables. Si bien qu’après quelques passages, et très abîmés, ils finissaient bien souvent... à la poubelle ! Quelle importance, puisqu’il suffisait d’en fabriquer d’autres, plus ou moins copiés sur leurs prédécesseurs ? Combien de centaines de chefs-d’œuvre méconnus ont-ils fini ainsi ?
Cette situation, en France, a duré jusque dans les années vingt, lorsque les premiers véritables cinéphiles ont pris conscience que certains films méritaient un meilleur sort, et pas seulement ceux de Méliès. Et, sans aller jusqu’à l’apostolat héroïque d’Henri Langlois, créateur à ses frais de la Cinémathèque française, maison qui existe toujours en dépit de l’acharnement du Pouvoir gaulliste à vouloir la détruire en 1968, cette institution, aujourd’hui installée à Bercy grâce à la prise de conscience des successeurs de Mongénéral qui ne s’y intéressait pas, est l’une de nos fiertés nationales, voire de renommée mondiale. À présent, des cinémathèques sont nées un peu partout, et on ne flanque plus les films à la poubelle, on les conserve précieusement dans des abris climatisés conçus pour cela. Mieux, on tente de régénérer les vieux films, en effaçant leurs rayures, en rééquilibrant les disparités de leur luminosité, en restaurant leurs couleurs disparues, en les numérisant pour les conserver sur de meilleurs supports. C’est d’ailleurs la seule action positive que je reconnais à ce ringard de Martin Scorsese, qui, tout en fabriquant de mauvais films de gangsters (il n’en a que deux bons à son actif), et entre deux navets avec DiCaprio, a fondé sa propre société de restauration des films anciens, dont il a sauvé un certain nombre, par exemple ceux d’Emeric Pressburger et Michael Powell – en dépit de quelques erreurs de parcours dont j’ai parlé ailleurs.
Et ailleurs qu’en Europe ? Si on respecte les films au Royaume-Uni, ce n’est pas du tout le cas aux États-Unis, où le cinéma n’est toujours pas considéré comme un art, mais uniquement comme une machine à rapporter de l’argent. Ce qui explique un phénomène dont je vous parlerai un autre jour : l’abondance des remakes. Et là, pas de quoi pavoiser.