Mitterrand et le sang contaminé
Mitterrand ne s’est pas contenté d’utiliser à des fins personnelles les colossaux moyens de l’État, de provoquer trois suicides, et d’inaugurer le style « Un mort, deux veuves », il a aussi exigé – et obtenu – que l’on attribue la Légion d’Honneur au responsable de nombreux décès d’enfants hémophiles, 1200 victimes, dont 400 décédées en janvier 1994. Mais repassons le film au ralenti.
1981. Une nouvelle maladie fait des ravages : le cancer de Kaposi. Comme elle frappe surtout les homosexuels mâles, on a vite fait de la baptiser « le cancer gay », ce qui est bien pratique aux yeux des bien-pensants, car ils peuvent déblatérer à loisir contre les ennemis de leur sacré-sainte religion, sur le thème « Dieu punit les pécheurs ». Mais, aux États-Unis, on ne tarde pas à s’apercevoir, en juillet 1982, après que trois hémophiles ont été contaminés par du facteur VIII – produit sanguin de coagulation –, que cette maladie, dont on pensait qu’elle se transmettait par le sang (avertissement lancé par le docteur Bruce Evatt, médecin militaire du CDC, Center for Disease Control, d’Atlanta), et par les relations sexuelles, frappe en réalité tout le monde, y compris les enfants n’ayant aucune activité de cette sorte.
On découvre bientôt le responsable, un virus, que l’on baptise VIH (pour Virus de l’Immunodéficience Humaine). Et que son action crée un syndrome d’immunodéficience acquise, dont l’acronyme, SIDA, sera bientôt connu de tous. Bien entendu, on cherche partout le moyen de « tuer » ce virus – façon de parler, car les virus ne sont pas à proprement parler des êtres vivants. Et une entreprise états-unienne, Travenol, met au point une méthode permettant de désactiver le VIH présent dans le sang destiné aux transfusions, en le chauffant à 60° C. La méthode est appliquée aux États-Unis à partir du 18 mai 1983. Et en France ? On ne fait rien ! Pourtant, à l’étranger, les laboratoires Bayer, en Allemangne, et Immuno, en Autriche, développent cette méthode.
Pis que rien, même, car le CNTS (Centre National de Transfusion Sanguine), qui a depuis 1982 le monopole de l’importation des produits sanguins, et fournit notamment le sang nécessaire aux hémophiles, est dirigé par le docteur Michel Garetta. Lequel, le 29 mai 1985, reconnaît que cent pour cent des stocks de sang sont contaminés, mais qu’il faudra, pour des raisons économiques, les écouler quand même ! Et le 26 juin 1985, une note interne au CNTS, signée par Garetta, dit ceci : « La distribution des produits non chauffés reste la procédure normale tant qu’ils sont en stock ». Il est précisé que les produits chauffés dont on dispose seront réservés aux hémophiles non encore contaminés, si leur médecin traitant en fait la demande. Autrement dit, consigne est donnée, par le grand patron de la transfusion, de distribuer, à des malades atteints d’hémophilie, un produit mortel, mais... en stock et qu’il faut écouler ! Or, comme dit plus haut, la contamination des hémophiles est connue depuis juillet 1982 aux États-Unis, ce qui contredit la thèse des politiciens français incriminés par la suite, que l’on n’était « sûr de rien avant 1985 ».
(On a d’ailleurs refusé au laboratoire Abbott, des États-Unis, de vendre en France son test de dépistage du sida, utilisé dans son pays d’origine)
25 avril 1991 : la journaliste Anne-Marie Casteret publie dans « L’évènement du jeudi » (journal aujourd’hui disparu) , sous le titre Le rapport qui accuse le CNTS, le compte-rendu de la réunion du 29 mai 1985 – voir plus haut. Cette fois, le scandale est national, car toute la presse, dont « Le Canard enchaîné », reprend l’information. Garetta démissionne le 3 juin, mais poursuit « Le Canard » en justice pour avoir divulgué des informations sur ses bonnes affaires financières. Il perd son procès, et il est inculpé le 21 octobre. Il est condamné le 3 octobre 1992 (quatre ans de prison), condamnation confirmée par la Cour d’Appel le 16 juillet 1993.
Mais pourquoi ai-je commencé à parlant de Mitterrand ? Parce que, le 16 juin 1989, la présidence de la République a adressé au ministre de la Solidarité, de la Santé et de la Protection Sociale, la lettre suivante : « Le chef de l’État, ayant décidé de retenir l’intéressé – à titre exceptionnel – au titre de sa réserve personnelle de croix, à l’occasion de la promotion du 14 juillet prochain, je vous serai reconnaissant de bien vouloir faire établir une proposition en faveur de Michel Garetta, directeur général du CNTS ». Or les révélations du « Canard » étaient parues deux mois plus tôt, et Mitterrand lisait « Le Canard ». Le ministre de la Santé, le rocardien Claude Évin, refuse de proposer Garetta pour une décoration, mais Mitterrand insiste, et Garetta reçoit sa médaille de la Légion d’Honneur le 1er janvier suivant !
(Elle lui sera retirée après sa condamnation, le 16 octobre 1993, avec effet rétroactif)