Juif et ministre en pays musulman
Le dernier numéro du« Canard enchaîné », dans sa page 8, nous a rappelé qu’en Tunisie, le dernier ministre du Tourisme et de l’Artisanat, nommé le 5 novembre, s’appelle René Traboulsi (ou Trabelsi, selon sa signature), et... qu’il est juif ! Il a même reçu son prédécesseur à ce poste, Slaheddine Mouaoui. Un Juif nommé ministre dans un pays musulman, ce doit être la première fois que cela se produit à notre époque. Mais, à d’autres époques, il a existé des ministres juifs en pays musulman – quoique dans un seul pays, le Maroc. Cela commmença avec le Sultan Abderrahman III, devenu roi en 912, à l’âge de vingt-deux ans, et qui choisit un ministre juif, un médecin nommé Hasdaï Ibn Chaprout, lequel se révéla un excellent homme d’État.
Plus tard, au treizième siècle, le Sultan Abou Youssef choisit comme vizir un nommé Khalifa Ibn Rokassa, intendant du palais royal. Mais cette fois, les choses tournèrent mal, et, en 1299, des jaloux le massacrèrent, lui et sa famille. Même scénario en 1310, sous Abbou Saïd, qui envoya de nombreux Juifs à l’étranger pour y représenter le Maroc. Simon de Barenel fut l’un d’eux, et, comme son prédécesseur Khalifa, il fut tué au cours d’une révolte fomentée par quelques fanatiques, jaloux de son accession.
Plus tard, en 1351, Khalifa ben Haroun fut nommé chambellan du Sultan Abbou Himan. Puis son petit-fils occupa le même poste sous le règne de son successeur, dont la cour était fréquentée par des hommes de science juifs. Plus tard, en 1465, un Juif du nom de Haroun fut intendant et conseiller du Sultan Abdellak, dernier représentant de la dynastie des Mérinides. Ce conseiller avait rang de ministre, mais il eut le projet de renflouer les trésors de l’État en imposant les Chorfs et les Marabouts (les notables), lesquels, jusque-là, étaient exempts d’impôts par la grâce du Roi. Cette mesure fut tellement impopulaire qu’elle souleva contre lui la rumeur des gens haut placés. Ceux-ci invitèrent la foule à la révolte. Au cours du pillage qui suivit, c’est le sultan et son ministre juif qui furent tués.
À la fin du seizième siècle, la famille juive Pellas joua un rôle considérable au Maroc. Son chef de cette famille, Samuel Pellas, fut envoyé en mission spéciale en Hollande en 1551. Il parvint à y conclure un traité de commerce entre les Pays-Bas et le Maroc, et, à sa mort, son frère, Joseph Pellas, fut nommé ambassadeur du Maroc en Grande-Bretagne. Plus tard, à la cour de Louis XIII, un autre Pellas, David, représenta le Maroc.
Passons, la liste est trop longue. Elle se termine au vingtième siècle, quand le roi du Maroc, Mohammed V, choisit pour le représenter le docteur Benzaquen. Et il est bien connu que son médecin personnel était aussi juif.
Le ministre juif et tunisien nommé au Tourisme par le Premier ministre Youssef Chahed a connu une forte opposition dans son pays (on lui reproche même de n’avoir pas le baccalauréat !), mais enfin il est resté ministre...
On attend qu’en Israël, le Premier ministre Benyamin Netanyahou se décide à nommer un musulman dans son équipe gouvernementale. Confiance, il va sûrement le faire !