L’affaire de la Cinémathèque française
Le croiriez-vous ? Aucun des régimes ayant existé en France avant la Cinquième République n’avait jamais songé à créer un ministère de la Culture ! Ce qui n’avait pas empêché les Français de se cultiver, d’aimer lire, écrire, chanter, aller au théâtre ou au cinéma, et de parler leur langue un peu plus correctement qu’aujourd’hui, plutôt que l’horrible sabir qui a tout envahi : rares sont les personnes capables, aujourd’hui, de s’exprimer autrement que dans le charabia que nous ont imposé les médias et les hommes politiques – qui semblent, presque tous, avoir échoué à l’examen d’entrée en sixième.
Bref, ce vide fut comblé le 3 février 1959, quand De Gaulle, devenu président de la République depuis le 8 janvier de cette même année, résolut de créer un ministère inédit, qu’il installa au Palais-Royal, loin du quartier des ministères, presque tous présents rive droite. Et il nomma André Malraux à la tête de ce ministère, ignorant sans doute qu’il le confiait à un voleur notoire (ce n’est pas une calomnie, Malraux a bel et bien été condamné, pour vandalisme et vol, par un tribunal cambodgien, pour avoir brisé et emporté des statues du temple d’Angkor, et les avoir exportées en France pour les revendre à des amateurs d’art – et je n’invente absolument rien).
Mais pourquoi créer un ministère spécialisé et le confier à Malraux ? Deux raisons. La première était que De Gaulle entendait récompenser le seul écrivain célèbre, en dehors de François Mauriac, qui s’était déclaré gaulliste. Et la seconde, c’est que l’État avait l’intention, encore secrète, de mettre la main sur un trésor inestimable, la collection de films rassemblée à la Cinémathèque, organisme PRIVÉ, que son fondateur Henri Langlois avait d’abord créée rue de Messine, puis rue d’Ulm, avant de trouver un local plus grand au Palais de Chaillot. Hélas, cette installation dans un tel monument, qui appartenait à l’État, fut une mauvaise idée, puisqu’elle revenait à laisser le gouvernement se mêler de ses affaires.
Ce hold-up, car c’en était un, permettait désormais à Malraux, toujours là, et à ses sous-fifres, de gérer la totalité des films qui aboutissaient à la Cinémathèque, donnés par les réalisateurs, qui estimaient beaucoup Langlois pour sa compétence et son dévouement. Malraux installa donc un administrateur financier, qui devait prendre le pas sur Langlois. Et ce projet aurait pu aboutir à ceci : chaque fois qu’un chef d’État étranger, même dirigeant une dictature, visiterait Pais, on pourrait lui concocter une séance spéciale où l’on montrerait les films de son pays, souvent censurés chez lui, d’ailleurs (la censure n’existait pas du tout à la Cinémathèque).
La réaction ne tarda pas, et TOUS les cinéastes du monde déclarèrent que si le Pouvoir gaulliste maintenait cette mauvaise manière, ils retireraient leurs films, et la Cinémathèque se retrouverait sans rien ! Et, dans cette hypothèse, une manifestation monstre se tint au Palais de Chaillot, à laquelle assistèrent tous les réalisateurs, français ou étrangers, tous les techniciens, tous les acteurs de France, et que le Pouvoir en place tenta vainement d’empêcher le 14 février, en envoyant les CRS matraquer les mécontents (ils cassèrent les lunettes de Jean-Luc Godard...). Face à cette unanimité, De Gaulle, Malraux et leurs domestiques renoncèrent à leur projet, Langlois récupéra l’intégralité de son pouvoir, et la Cinémathèque resta ce qu’elle était.
Aujourd’hui, presque tous les témoins de ces évènements sont morts, la Cinémathèque est installée dans un énorme immeuble du Parc de Bercy, et l’État ne s’en mêle plus. Son président est Costa-Gavras.