Chantage d’État
Je m’en vais vous narrer une petite histoire vraie, qui me concerne, mais pas seulement moi. Si elle vous rase, cessez de la lire et allez voir un autre de mes articles, comme j’en ai rédigé 8188, vous avez davantage de choix que lors d’une élection présidentielle en France.
À l’âge scolaire, du Cours Préparatoire à la classe de Troisième, donc pour moi les neuf années entre cinq ans et demi et quatorze ans, j’ai toujours fréquenté la seule école de la petite ville où vivait ma famille. Mais, lorsqu’en fin de Troisième, j’ai passé le Brevet concluant le premier cycle, j’avais épuisé toutes les possibilités de ce bled : aucun lycée, pas le moindre collège. J’étais contraint d’aller au chef-lieu du département pour continuer à m’enjoliver l’intellect, comme disait Montherlant ; et, bien sûr, en internat. Or tous les lycées de la ville, au nombre considérable de DEUX, n’avaient qu’un internat payant. Ma famille ne pouvait pas payer, car nous étions fauchés comme un champ de maïs après le passage de José Bové.
Restait tout de même une modeste école, quatre classes de vingt élèves, où tout était gratuit, car c’était une école d’État : les études, l’hébergement en internat, la nourriture, et même la perspective d’une bourse... après trois ans de présence. Il fallait simplement réussir au concours d’entrée.
Passons, j’y ai réussi et j’ai été admis dans la classe de seconde. Ouf !
Oui, mais voilà, à peine reçu, je me suis vu présenter la douloureuse : on m’a mis en main la condition sine qua non, consistant à m’engager, par un contrat de dix ans, à travailler au service de l’État. En cas de démission de ma part avant l’échéance, j’étais contraint – donc on contraignait ma famille – à rembourser toutes les dépenses que le si cher État avait engagé pour me former à son service.
Que vouliez-vous faire ? Me rebeller, ruer dans les brancards, hurler à la fumisterie, et risquer de me retrouver à la rue, à quatorze ans ? J’ai signé. Tous mes camarades aussi, bien que plus âgés d’au moins deux ans. En compensation, on m’a inscrit d’office au syndicat (j’ai toujours ma carte de ce temps-là).
On appelle ça une république. Il paraît qu’on appelle aussi ce procédé « un chantage ». Oh le vilain mot !