Mensonges des chefs d’État
Pour une fois, mon billet de ce jour sera l’œuvre de quelqu’un d’autre. Reconnaissez que je ne me permets jamais cet écart, alors que je houspille ici tous ceux qui se permettent le plagiat. Sauf une fois, lorsque j’ai publié intégralement la première nouvelle publiée par Richard Matheson, à 24 ans, en 1954 (il l’avait écrite l’année précédente, et cette publication a été comme un coup de tonnerre dans un ciel sans nuages – j’adore ce cliché qui traîne partout), ce qui l’a rendu célèbre instantanément. Cela s’intitulait Born to man and woman (en français, Né de l’homme et de la femme). Au fil des décennies, Matheson est resté le génie qu’il était depuis le début, et ses écrits ont donné lieu à quatre-vingts films, dont le fameux Duel de Spielberg et L’homme qui rétrécit, de Jack Arnold, autre chef-d’œuvre. Mais mon désir de publier ce texte ne visait pas à faire croire que j’étais l’auteur de ce texte, bien entendu.
Aujourd’hui, je mets sous vos yeux éblouis (autre cliché que j’affectionne) un passage du livre satirique de Patrick Rambaud que je me suis procuré hier, une pseudo-biographie de Macron intitulée Emmanuel le Magnifique. Mais le passage que je vous invite à lire ne concerne pas Macron, il vise un tableau célèbre, exposé au Musée du Louvre, et qui représente... Louis XIV. Voici ce passage. Dégustez, car il dénonce les mensonges historiques.
Le pouvoir, quel qu’il fût, a toujours produit des images qui reposaient sur le mensonge. Prêtez-vous à une expérience qui va prouver mon affirmation. Rendez-vous au musée du Louvre et, dans une vaste salle mal éclairée, plantez-vous devant le portrait officiel de Louis XIV exécuté par M. Hyacinthe Rigaud. Le tableau est connu, trop peut-être, vous en avez déjà vu une reproduction au moins dans vos livres de classe. Il vous est devenu banal et l’œil que vous posez sur lui est distrait. Que pouvez-vous en dire ? Rien. Et pourtant…
– Que représente cette toile ?
– Le roi de France enroulé dans un manteau bleu semé de fleurs de lys.
– Quoi d’autre ?
– Il prend la pose.
– Mais encore ? Vous ne le regardez pas vraiment.
– Que devrais-je voir ?
– Que l’homme qui figure dans le cadre s’apparente plutôt à un monstre filmé par Tod Browning dans Freaks.
– Vous exagérez !
– Vous avez regardé sans rien voir.
– Dites-moi donc ce que j’aurais dû voir ?
– Ce portrait n’est pas majestueux, il est grotesque.
– Vous y allez fort !
– Ce portrait ne vous étonne pas ? Cette tête de vieillard posée sur un corps de jeune éphèbe ?
– Tiens, oui, c’est vrai…
– En réalité, Louis XIV était à ce moment bancal, chauve, édenté, fripé, il tenait mal sur ses jambes maigrelettes, le bouillon qu’il avalait lui ressortait par le nez. Or, voyez ce maintien noble, ces mollets de coureur, ce torse avantageux, cette invraisemblable grâce de jeune homme. Venez maintenant sur le côté du tableau, vous remarquerez aisément que le visage a été peint à part, découpé puis collé sur la toile, on en voit les contours : voilà le portrait réaliste du visage par Rigaud. Le décor, la posture ont été réalisés par son atelier. On distingue sans problème le truquage, c’est-à-dire la supercherie.
Si dans l’ancien temps les portraits des souverains étaient enjolivés, même moins grossièrement, le glorieux mensonge fut souvent prémédité avant l’action représentée. Bonaparte était un expert du bidonnage. Quand il partait en campagne, le général emmenait ses faussaires ; il se faisait accompagner par des peintres, des dessinateurs, des scribouillards chargés de chanter ses louanges et de le montrer, lui, au mieux de sa gloire. La vérité des faits importait peu, mais l’image qu’il laisserait, qui devait frapper les esprits à jamais et répéter l’exploit imaginaire jusqu’à nos jours. Ce fut le cas du célèbre pont d’Arcole. On y présente Bonaparte, drapeau au vent, qui s’élance sous la mitraille autrichienne, entraînant ses troupes sur ce fichu pont. Or Bonaparte n’a jamais franchi le pont d’Arcole. Bondissant à son entrée, il glissa, retomba sur la berge bourbeuse et passa le restant de la bataille dans un tonneau d’eau saumurée à gratter son eczéma. Le véritable héros du jour, c’était Augereau qui emmenait derrière lui l’armée de Masséna et bouscula l’arrière-garde des Autrichiens embusquée sur l’autre rive.
Bonaparte était coutumier de ces mensonges. Il avait besoin d’une imagerie pour s’installer. Il jouait avec les symboles. Au col du Saint-Bernard, le peintre nous le montre en uniforme qui indique du doigt les plaines italiennes, sur un cheval blanc cabré. Essayez de faire se cabrer un cheval sur la neige. Dans la vérité il avait traversé ce col des Alpes à dos de mulet et tomba trois fois. Pour le tableau géant du sacre, Jacques-Louis David dut rajouter Mamma Laetitia, mère du futur empereur, car elle boudait au palais et avait refusé d’assister à la cérémonie…
Si vous voulez vérifier, voyez ICI le fameux portrait de Louis XIV : cette vidéo a été réalisée par les étudiants du BTS Audiovisuel du lycée Suger de Saint-Denis. Bravo à eux. Lisez aussi cette fiche de Wikipédia.