Traducteur, traître
On sait que les livres étrangers sont le plus souvent mal traduits. Les traducteurs ont deux vices : l’ignorance de la langue française, et le désir d’insérer, dans le texte qu’ils produisent, leurs propres manies et fantasmes. Ils veulent « s’exprimer », quoi ! Or ce n’est pas ce qu’on demande à un traducteur. S’il veut briller, qu’il écrive ses propres livres, l’ouvrage qu’on lui demande de traduire ne lui appartient pas, il n’a donc pas à l’interpréter selon ses lubies, ou, pour être aimable, selon sa personnalité.
L’ignorance de la langue française est flagrante à quiconque est un peu attentif (et n’a pas dormi sur le radiateur au temps de l’école primaire). Je me souviens d’avoir trouvé, dans la traduction d’un roman de Ruth Rendell, le verbe to realize, dont l’un des sens en anglais est « se rendre compte de », traduit à toutes les pages par réaliser. Or réaliser, en français, n’a PAS ce sens. Cette faute, qu’on appelle un anglicisme, est courante, mais justement, si tant de gens la commettent, c’est parce que les traducteurs en ont fait un usage permanent.
Quant à la manie d’interpréter au lieu de traduire, je viens d’en avoir un exemple sous les yeux, lorsque je suis tombé sur le dernier roman de Ken Follett, un auteur à succès, dont la traduction Un monde sans fin est sortie il y a un mois. J’ai pu comparer les textes anglais et français, et voici la première phrase du texte originel : « Gwenda was eight years old, but she was no afraid of the dark », ce qui signifie exactement que « Gwenda avait huit ans, mais elle n’avait pas peur du noir ». Or les trois traducteurs pour le français ont traduit par « Gwenda n’avait que huit ans, et pourtant elle n’avait pas peur du noir ». Autrement dit, là où l’auteur se contentait de juxtaposer deux faits en laissant le lecteur libre d’en penser ce qu’il voudrait, les traducteurs insistent lourdement sur l’opposition de ces deux faits. Ils ont donc arbirairement imposé au lecteur leur vision de la situation.
Il faudrait connaître toutes les langues et se passer de traducteurs...