Courage de Badinter
Il arrive à France 2, dans sa débâcle, de diffuser des productions intéressantes. Hier soir, c’était la première partie de L’abolition, dont on verra la fin la semaine prochaine, et qui retrace les deux points marquants de la carrière de Robert Badinter, son échec dans le procès de Buffet et Bontemps, et son succès dans l’affaire Patrick Henry, avec au bout l’abolition de la peine de mort en France.
Le procès de Buffet et Bontemps, c’est ceci : les deux hommes, incarcérés à la centrale de Clairvaux, avaient pris un gardien et une infirmière en otage, et les deux otages avaient été tués. On se concentre sur le meurtre de l’infirmière, qui a été égorgée. Deux armes blanches ont été retrouvées, un gros couteau sur Buffet, qui du reste ne nie rien et réclame la peine de mort, et un canif Opinel, fermé et ne portant aucune trace de sang, dans la poche de Bontemps. Un médecin légiste expert conclut que le canif de Bontemps n’a pas pu servir, mais une erreur dans son rapport fait conclure à un vice de forme, le rapport est annulé, et l’expert en fait un autre qui aboutit à une conclusion opposée : le canif de Bontemps a pu tuer l’infirmière – il n’écrit pas qu’il l’a fait. Pour comble, il est interdit, lors du procès, d’évoquer le premier rapport, qui, légalement, n’existe pas !
Badinter défendait Bontemps. N’ayant pu faire revenir l’expert sur ses conclusions, il viole alors la loi et communique au jury le contenu du premier rapport, malgré les menaces du président des Assises. À ce moment, l’avocat risque tout simplement la radiation, mais il n’hésite pas, car la tête de son client est en jeu ! Où voit-on cela, dans les tribunaux français ?
Par chance, il ne sera pas sanctionné. Un type extraordinaire, ce Badinter. Riche, gagnant très bien sa vie comme avocat d’affaires et professeur de droit à l’université, il aurait pu rester tranquille dans sa vie bourgeoise. Mais non, il a tout risqué par exigence morale. Et sans être payé, puisque son client n’avait pas un sou.
Hélas, cela n’a servi à rien. Le verdict fut extravagant, et illustra parfaitement cette absurdité de la loi qui fait tout reposer sur « l’intime conviction » des jurés. À la question « Bontemps a-t-il tué ? », les jurés ont répondu non, mais à la question « Bontemps a-t-il des circonstances atténuantes ? », ils ont également... répondu non ! En France, on peut donc n’avoir pas tué et être sans circonstances atténuantes. Mais atténuantes de quoi ?
Bontemps a été condamné à mort. Pompidou ne l’a pas gracié parce que le peuple voulait deux têtes et que les élections approchaient. Bontemps a été guillotiné...