Idées fausses sur les religions
L’hebdomadaire « Le Point » et la revue « Historia » se sont associés pour produire un numéro hors-série intitulé 100 idées reçues (et fausses) sur les religions. Louable intention. En fait, cette publication aborde trente questions sur le christianisme, vingt-cinq sur le judaïsme, vingt-cinq sur l’islam et dix-neuf sur le bouddhisme. Il n’y a donc que 99 idées fausses, ce qui est déjà beaucoup !
Il se trouve que cette lecture ne m’a rien appris sur le christianisme, car j’ai été un lecteur assez attentif de la Bible, et plus précisément du Nouveau Testament qui tourne essentiellement autour de Jésus puis de ses disciples. Il se trouve aussi que les textes de cette publication, qui n’ont pas dû avoir un auteur unique, ne sont pas signés, à l’exception des quatre préambules de chacune des grandes divisions. Pour celles du christianisme, c’est Catherine Salles qui signe, elle est docteur d’État, agrégée de lettres classique. On regrette qu’elle ne soit pas aussi un peu mathématicienne, cela lui aurait évité une grosse bêtise relevée à la page 12, qui traite de la date de naissance de Jésus.
On y lit en effet que c’est le moine Denys le Petit qui, au sixième siècle, a fixé la date de cette naissance, quoique en se trompant de plusieurs années, puisqu’il est exclu que Jésus, né sous le règne d’Hérode le Grand, ait pu naître en l’an I, sachant qu’Hérode est mort quatre ans avant cette date fixée arbitrairement ! Hélas, l’auteur de l’article croit malin d’ajouter : « Denys le Petit a commis l’erreur de ne pas situer une année 0 entre -1 et 1 ». Énorme bévue, en effet, mais pas de Denys le Petit !
Aucun calendrier n’a jamais comporté d’année 0, et pour deux raisons.
Historique d’abord : le chiffre zéro et le nombre qu’il désigne (lequel n’est jamais que l’expression d’une absence d’éléments dans un ensemble) n’étaient pas inventés à l’époque qui nous occupe. Et, en tout cas, n’étaient pas connus en Europe. Le chiffre zéro est l’œuvre des Indiens, à une époque indéterminée mais qui ne saurait être antérieure au cinquième siècle, et n’a été introduit en Europe qu’en... 1198, par Leonardo Fibonacci, depuis Bougie, en Algérie, où il vivait, puisque les Arabes y avaient apporté cette invention avec leurs esclaves indiens. Encore faut-il tenir compte du fait que cette introduction des chiffres arabes a été mal accueillie en Italie, et qu’ils ont même été interdits un temps, parce qu’ils apportaient de la confusion (sic ! C'est tellement facile de faire une division avec des chiffres romains, essayez !). Par conséquent, Denys le Petit, qui vivait six siècles avant, ne pouvait concevoir une « année zéro ».
L’autre raison est de nature logique. Lorsqu’on utilise le zéro, par exemple sur une graduation, il ne peut désigner qu’un point sans dimension, servant d’origine (ou de point de départ, si l’on veut). Dans le domaine du temps, le fameux instant zéro n’a pas de durée non plus, c’est le moment infiniment court où quelque chose commence, et qui est dépassé à peine atteint. En aucun cas, le zéro ne peut désigner un intervalle qui possèderait une dimension (longueur ou durée). Ainsi, une « année zéro » est une absurdité logique.
En fait, quand nous parlons de l’an 2009, ce que nous voulons désigner, ce n’est pas une mesure ni une quantité, nous désignons un RANG : la 2009e année. Or le zéro, en aucun cas, n’est un rang ! On peut être troisième, deuxième, premier, mais jamais « zéroième », cela n’a aucun sens (comment être placé avant le premier ?).
Pour en revenir à la naissance d’un individu, il est dans sa première année depuis son jour de naissance et jusqu’à son 365e ou 366e jour, il n’est jamais dans sa « zéroième » année. Et Jésus n’échappe pas aux mathématiques.