Pas si élémentaire, mon cher Joffrin
En ce moment, et depuis plusieurs semaines, le journal du matin de France Inter fait la publicité du quotidien « Libération », en mettant chaque jour à son sommaire un sujet sur le dossier du jour qui paraît dans ce journal. Ce matin, c’était Sherlock Holmes, et la rédaction interviewait par téléphone Laurent Joffrin, le directeur du journal « Libération ». Est-ce à dire que Joffrin connaît quelque chose à Sherlock Holmes ? Pas du tout, pas plus qu’il ne connaissait grand-chose aux codes secrets avant de pomper honteusement le livre de Simon Singh sur le même sujet, pour en sortir un livre publié il y a environ trois mois ! En fait, s’il y a en France un spécialiste de Sherlock Holmes, c’est Jacques Baudou, essayiste et critique littéraire, qui écrivait dans la revue « Enigmatika » (quarante numéros à partir de 1976).
Joffrin a donc égrené quelques platitudes sur le héros de Conan Doyle : sa mort et sa résurrection, et le fait que jamais n’apparaît dans les romans et nouvelles sur Sherlock Holmes la fameuse réplique « Élémentaire mon cher Watson ». Autant de détails connus de tous les amateurs du détective à la pipe. Sur ce dernier point, il a émis une hypothèse : qu’elle ait été inventée par un acteur de théâtre, mais il n’a précisé ni le nom de cet acteur, ni la date de cette invention. Il se trouve que j’ai une autre hypothèse, que j’ai du reste soumise à Jacques Baudou et qu’il a approuvée : cette expression est apparue pour la première fois sous la plume... d’Agatha Christie ! C’était dans une des nouvelles légères consacrées à ses deux jeunes héros Tommy et Tuppence Beresford, ceux-là même que Pascal Thomas a utilisé deux fois à l’écran – en les vieillissant d’une génération pour les faire correspondre aux interprètes Catherine Frot et André Dussollier (chez Agatha Cristie, ils ont à leurs débuts entre vingt-cinq et trente ans). Cette nouvelle s’intitulait L’affaire de la perle rose, et elle est parue pour la première fois en 1929, avant d’être reprise dans deux recueils, Associés contre le crime et Le crime est notre affaire – dont seul le titre du second a servi pour le film de Pascal Thomas en 2008. En français, elle a paru dans un numéro de « Mystère Magazine », édition française du « Ellery Queen’s mystery magazine ».
Mais cela, Joffrin ne pouvait pas le savoir. Donc ses lecteurs ne le sauront pas non plus.