À plein régime
Doté d’une nature docile, je fais généralement tout ce qu’on me dit. Et la télévision est mon guide quotidien. Néanmoins, je suis aussi adepte de la procrastination. En d’autres termes, il me faut beaucoup de temps pour me décider à faire ce qui m’est conseillé, de sorte que je ne remets jamais à demain ce que je peux faire après-demain.
C’est ainsi que, depuis deux ou trois ans, les spots de publicité télévisée sont agrémentés d’un conseil fort judicieux, qui n’a pas échappé à mon œil exercé : mangez cinq fruits et légumes par jour, nous dit-on. Or le petit défaut dont je parlais au paragraphe précédent a fait que je ne me suis résolu à suivre le conseil qu’à la fin du mois dernier. Mais, la décision prise, j’ai agi sérieusement : je me suis assis à mon bureau, et j’ai entrepris de rédiger, pour chaque jour de la semaine, le menu type de mes repas à venir. Pour simplifier la lecture, je fais ci-dessous la synthèse du déjeuner et du dîner, sachant que le nombre cinq est respecté à la lettre :
- Lundi : trois radis et deux groseilles.
- Mardi : une tomate et quatre noisettes.
- Mercredi : un radis et quatre cerises.
- Jeudi : quatre petits pois et une myrtille.
- Vendredi : deux haricots blancs et trois dattes.
- Samedi : quatre lentilles et une figue sèche.
- Dimanche : deux olives vertes et trois grains de raisin.
Pendant une semaine, j’ai appliqué ce régime à la lettre. Lundi, je me suis évanoui dans l’ascenseur. Ma voisine du dessous a fait venir son médecin, qui a pris mon pouls et ma tension, avant de me faire monter sur une balance. Puis il m’a demandé ce que j’avais mangé récemment. Je lui ai remis ma liste.
– Mon cher ami, a-t-il dit (c’était encourageant, j’étais déjà son cher ami, j’allais être bien suivi), je ne vois pas de choucroute dans vos menus, mais je peux vous dire que vous pédalez dedans. Je ne peux vous dissuader de changer complètement de régime, mais je vous conseille de manger des fruits et légumes un peu plus volumineux. Juste pour qu’on ne vous demande pas si vous avez passé vos vacances au Darfour.
J’ai compris. Dès demain, je me rends au marché de la rue Montorgueil, où j’achèterai trois potirons et deux pastèques.