Banc d’essai : Thatcher contre Mitterrand
On vient d’ouvrir les archives des six premiers mois du gouvernement de Margaret Thatcher, et la presse bruit de détails croustillants : la dame annotait sévèrement, paraît-il, les rapports de ses ministres ; elle vexait les chefs de gouvernement étrangers en leur réclamant « d’établir les faits » avant de parler ; elle réclamait qu’on rembourse son argent au Royaume-Uni (le célèbre « I want my money back ») ; elle avait refusé une garde du corps exclusivement féminine lors d’une visite au Japon ; elle ne détestait pas le whisky (Churchill non plus, et nul ne le lui a reproché) ; et elle aurait dit que « Tous les citoyens qui ont envoyé un courrier disant soutenir les boat-people devraient en héberger un chez eux ».
Pas de quoi fouetter un chat, à mon avis. Certes, elle a laissé mourir les prisonniers irlandais qui faisaient la grève de la faim, et ne donnait pas trop dans le social. Mais elle n’a pas, comme Mitterrand, fait espionner des particuliers pour se régaler de leur histoires intimes (affaire qui s’est conclue par le suicide d’un capitaine de gendarmerie, mis en cause pour avoir obéi aux ordres mitterrandiens), et n’a pas mis les moyens de l’État à la disposition d’un enfant caché. Elle n’a pas couvert le chef de la « cellule antiterroriste de l’Élysée » (le commandant Prouteau, condamné ultérieurement par la Justice), qui avait laissé fabriquer par son adjoint Barril de fausses preuves pour envoyer en prison des innocents (les Irlandais de Vincennes), ni ne l’a décoré ensuite, et donné en exemple à la nation. Elle n’a pas fait pression sur son ministre de la Santé pour qu’il donne la Légion d’Honneur au responsable de la Transfusion sanguine, le docteur Garretta, lequel exigeait que les stocks de sang contaminé par le virus du sida soient écoulés alors qu’on savait depuis trois mois (articles dans « Le Canard enchaîné » et dans « L’Événement du jeudi ») qu’ils pouvaient infecter des innocents. Elle n’a pas invité dans la loge présidentielle, le jour de la Fête nationale, un chef d’État, Hissen Habré, qui avait inauguré la « mode » (pour parler comme le patron de France Télécom) de la prise d’otage (madame Claustre) et fait exécuter le négociateur envoyé par la France (le commandant Galopin). Elle n’a pas non plus reçu à sa table ni protégé des foudres de la Justice un certain René Bousquet, lequel, chef de la police de Vichy, avait livré aux nazis 4155 enfants juifs qu’ils ne réclamaient même pas, et dont aucun n’est revenu d’Auschwitz.
Soyons sérieux : si madame Thatcher est arribée au pouvoir, c’est parce qu’à ce moment précis de leur Histoire, les Britanniques ont voté pour les conservateurs. On ne pouvait donc s’attendre à voir leur Premier ministre faire une politique de gauche. En revanche, en élisant Mitterrand, les Français réclamaient un gouvernement de gauche, et certainement pas la cascade de turpitudes énoncées ci-dessus.