Beau langage
Si vous êtes de ceux qui perdez votre temps à lire mes élucubrations – sans doute le seul moyen que vous avez trouvé pour gagner quelques indulgences susceptibles de vous ouvrir les portes du paradis –, vous connaissez déjà mon goût pour le beau langage : celui de notre époque.
Mais comme je vous sens frémir d’appréhension, voire d’horreur, je vous rassure, je ne vais pas aujourd’hui m’essuyer les pieds sur les mots et expressions qui ont ma faveur, appart’, copine, p’tit déj’, incontournable, teuf, voilà !, bon ben faut qu’j’y aille, en fait, c’est vrai que et autres film-culte. Il faut préciser que, ce matin, je me suis réveillé de bonne humeur, et je tiens à ce que cet état très provisoire soit contagieux.
Voilà pourquoi je vous ferai part d’un détail qui m’a frappé hier, alors que je sortais du cinéma (de toute façon, je suis TOUJOURS en train de sortir d’un cinéma, quand je ne suis pas en train d’y entrer). Et comme cela se passait au Forum des Halles, actuellement dévasté par les améliorations qu’a décidées tout seul ce grand démocrate qu’est Bertrand Delanoë, je me suis trouvé nez à nez avec un escalator en panne. Oh pardon ! Avec un escalator en maintenance. Eh oui, vous l’avez remarqué vous aussi, il est de nos jours très mal vu d’utiliser des expressions négatives, et répandre le bruit qu’un escalator est « en panne », c’est quasiment du défaitisme et une insulte à la classe ouvrière. Or la gauche au pouvoir fait régner une telle terreur qu’un simple mot déplacé peut vous valoir une garde à vue dans les geôles vallso-taubiriennes qui font notre renom dans l’Europe entière.
Peu à peu s’est ainsi instauré ce pli de ne plus dire les choses simplement et directement. Je l’ai déjà signalé récemment, dans les bureaux, on ne vous dit plus d’attendre, mais de patienter, en précisant opportunément « Merci de patienter » (remercier par avance, c’est absurde, mais généralisé). Les gens qu’on interroge ne refusent plus de répondre aux questions gênantes, ils ne souhaitent pas répondre. Et vous êtes priés de ne plus vous retrouver au chômage, il faut à présent être en recherche d’emploi ! À ce propos, notez qu’on ne vous propose plus d’emplois précaires, encore moins des sièges éjectables, mais uniquement des contrats à durée déterminée (en abrégé, CDD) – sachant que cette « durée déterminée » n’est pas faite pour durer, justement –, que nécessitent les redéploiements des entreprises.
Comme l’a dit Desproges, « Nous vivons en un temps où l’on a résolu tous les problèmes en appelant un chat “un chien” ».