« C’est quoi, “dégueulasse” ? »
Comme je ne suis ni PPD ni Joseph Macé-Scaron, je cite toujours mes sources. Donc, mon titre est la dernière réplique prononcée par le personnage que joue Jean Seberg dans À bout de souffle. Passons.
Ce matin, par deux fois sur France Inter, François Bayrou a qualifié de « dégueulasse » la pratique, chez les politiques français, d’accepter des valises de billets offerts par les chefs d’États africains, argent prélevé de force sur des pauvres pour corrompre des riches. Naturellement, j’approuve ce que dit Bayrou. Voici un exemple.
Lors de la première cohabitation en France, alors que Chirac venait d’être nommé Premier ministre par Mitterrand, que pensez-vous que fut le premier geste de Super-Menteur ? Cela consista à se précipiter à… Yamoussoukro pour se faire adouber par Houphouët-Boigny, ancien ministre de De Gaulle, président de Côte d’Ivoire depuis 1960, et premier propriétaire terrien du pays depuis sa naissance. Naturellement, nul n’est assez naïf pour croire que Chirac repartit les mains vides.
Houphouët, qui possédait – entre autres – d’immenses plantations d’ananas, employait sur ses terres des ouvriers agricoles qui étaient payés pour l’équivalent de 200 francs français par mois, soit environ 30 euros d’aujourd’hui, à raison de dix heures de travail par jour, et sans aucune journée de repos. Alors que, chez les employés de maison, dont la pénibilité du travail était infiniment plus supportable, le moins gradé percevait au moins le double, selon la nomenclature du ministère du Travail (il y avait sept grades, de « petit boy » à « maître d’hôtel »). On disait en plaisantant qu’Houphouët avait inventé la méthode qui consistait à tondre le peuple sans aller jusqu’à l’écorcher vif, moyennant quoi, cela dura jusqu’en 1990, quand le peuple se mit à tout saccager en le traitant de voleur – le qualificatif qui lui convenait le mieux. Le cher président dut accepter le multipartisme, nommer un Premier ministre (Alassane Ouattara, aujourd’hui président) et accepter un concurrent à l’élection présidentielle pour la fin de l’année (le fameux Laurent Gbagbo). Qu’il fit ensuite éliminer de la compétition via une argutie juridique.
En 1983, Houphouët, dans une conférence de presse multi-rediffusée par la radio et la télévision, qui dura plus de quatre heures et resta mémorable – puisque, pas un instant, il ne s’interrompit pour seulement boire un verre d’eau –, se vanta d’avoir « des milliards en Suisse », et se fit photographier par « Le Figaro-Magazine », posant devant son trésor personnel : un tas de lingots d’or et des œuvres d’art inestimables. Au même moment, les instituteurs étaient en grève, parce qu’on ne les payait pas depuis des mois.
Le fait que ce type de corruption franco-africaine soit né sous De Gaulle (et mis en œuvre par son collaborateur le plus proche, le seul qu’il voyait tous les jours, Jacques Foccart), n’est évidemment pas une justification.