« Casting »
Je le dis souvent, au cinéma, ce qui est intéressant, c’est moins le film lui-même que le générique de fin. Et, alors que les spectateurs fuient en masse quand il commence, je reste souvent pour le lire in extenso. C’est que ce long texte, de plus en plus long à cause des exigences des syndicats (ce qui impose d’y coller une musique quand le film proprement dit n’en a pas, et une musique qui peut être désatreuse – voyez la chanson de Céline Dion à la fin de Titanic, dont Cameron ne voulait pas mais que la production lui a imposée), ce long texte, disais-je, est parfois truffé de perles, qu’il est dommage de laisser échapper.
Mais plutôt que de multiplier les exemples de ces perles, car on n’en finirait pas puisqu’il y a aussi des cinéastes qui ont de l’esprit (mais non, je ne parle ni de Kechiche ni de Scorsese !), je préfère traiter aujourd’hui d’un point très particulier, les directeurs ou directrices de casting. D’abord, ce mot ridicule, casting, alors que les anglophones, chez eux, disent fréquemment audition ! Ah les salauds, qui laissent le français « envahir » leur langue... Normalement, ce travail d’audition consiste à recruter les acteurs et des figurants d’un film, pour tenir les rôles les moins importants, tâche que le réalisateur en titre n’a pas le temps de faire car il a d’autres chats à fouetter. Il y a donc des spécialistes qui tiennent à jour de gigantesques fichiers, avec les photos et le curriculum vitae de tout individu ayant un jour paru dans un film, et qui viennent y puiser de quoi nourrir la distribution (c’est ça, le casting : la distribution du film).
Et là, ça devient farce. Je ne donnerai que deux exemples.
J’ai vu un jour un court métrage de quatorze minutes assez marrant, qui s’intitulait Kitchen, bien que français, et réalisé en 2005 par Alice Winocour. On y voyait une femme, jouée par Elina Löwensohn, qui, n’osant pas tuer deux homards pour le dîner, essayait un tas de méthodes pour les faire mourir de mort naturelle, si on peut dire. Elle en occisait un dans un mixeur, et elle électrocutait l’autre dans sa baignoire, faisant ainsi sauter le disjoncteur. Avec l’acteur jouant son mari, joué par Bernard Nissile, elle était la seule actrice. Or le générique de fin révélait, non seulement une équipe de tournage d’une cinquantaine de personnes, mais aussi la présence d’une directrice de casting. Pour DEUX acteurs ! Mais je suppose que la dame avait recruté les homards après audition.
C’était déjà beau, mais on a vu mieux en 1988, avec L’ours, film de Jean-Jacques Annaud. Dans ce long métrage tourné en pleine nature, en Autriche et en Italie, il n’y avait que trois acteurs, Tchéky Karyo, Jack Wallace et André Lacombe, et pas le moindre figurant. Or le générique de fin nous apprenait que l’équipe de « casting » du film comptait... quatre personnes ! Cette armée à la mode mexicaine nous rappelle que la bureaucratie n’est pas morte.
Au fait, les génériques de fin comportent souvent une phrase affirmant qu’aucun animal n’a été maltraité durant le tournage, et le film avec les deux homards dont j’ai parlé plus haut comportait effectivement cette excuse hypocrite, que nous ont refilée les États-Unis. Bande de faux-culs ! Après le tournage, vous les avez rapporté chez le poissonnier, les deux homards ? Vous les avez remis dans l’océan, peut-être ? Vous les avez bouffés, oui !