Changer de métier
Tout progrès technique apporte inévitablement la disparition de certains petits métiers, donc génère du chômage, au moins apparent. Laissons de côté les cardeurs et les poinçonneurs du métro, dont plus personne ne sait ce que c’était, mais voyez plutôt ce progrès majeur : l’invention, par Gutenberg, des caractères mobiles d’imprimerie (et pas l’imprimerie elle-même, qui avait été inventée bien plus tôt en Chine). Le fait de pouvoir fabriquer en grande série, plus rapidement et pour beaucoup moins cher, des livres qui nécessitaient auparavant des mois de travail, a privé de leur travail des armées de scribes et autres copistes, qui n’ont certainement pas goûté cette forme de progrès ! Mais tout le monde a pu apprendre à lire, s’instruire, se perfectionner dans tous les domaines, et cela valait bien un peu de chômage, qui n’a d’ailleurs pas duré : la reconversion, ce n’est pas un mythe.
L’un des revers inévitables de la médaille, c’est ceci : ceux qui bénéficient des changements sont ceux qui ont reçu une formation. Il n’y a pas si longtemps, j’ai fait allusion aux projectionnistes de cinéma : encore un métier qui est en train de disparaître, ou du moins, de se transformer si profondément que le mot même de projectionniste perd de son sens, puisqu’il n’y a (presque) plus lieu de surveiller la projection d’un film, on peut le lancer à distance, depuis un centre qui contrôle une série de salles, via l’informatique. Par conséquent, pour rester dans le métier, il faut apprendre les nouvelles techniques. Bientôt, fabriquer de la pellicule pour la photo ou le cinéma sera un autre métier à ranger au magasin des techniques abandonnées.
L’autre revers de la médaille, c’est que cette conversion coûte cher. Si bien que certaines entreprises n’ont pas les moyens de sauter le pas. Le cinéma numérique a coûté une fortune, et l’État a dû mettre la main à la poche, mais avant cela, l’informatisation de la totalité des entreprises a fait que, au début du moins, le changement n’a pas été rentable. C’est plus tard que les avantages de l’informatisation et d’Internet sont apparus. Songez aux journaux, qui peuvent être imprimés à distance, dans les provinces, fournissant du travail aux imprimeries locales. Aujourd’hui, fabriquer un journal est très facile – je l’ai fait plusieurs fois, durant des mois, sans avoir jamais vu la moindre rotative ni rencontré le moindre typographe.
Modernisations prévues et inévitables : les téléchargements, les impressions 3D, le commerce en ligne, l’information et les communications (qui ont commencé), et j’en oublie. Ce qui sera balayé : les célèbres « avantages acquis », cheval de bataille des syndicats, qui comprendront peut-être un jour que, ce qu’on doit protéger, ce ne sont pas les emplois, mais les travailleurs. Par exemple, en les incitant à faire autre chose que ce qu’ils savent faire, et qui est devenu inutile.