Conseils d’un tueur à gages
J’ai eu cette chance qu’au jour où je vins au monde, les fées, penchées admirativement sur mon berceau à baldaquin, déposèrent dans ma corbeille quelques-unes des qualités dont je m’honore aujourd’hui – et que nulle Carabosse n’a osé se présenter. Au nombre de ces qualités, je compte un absolu manque de sensiblerie, et un goût pour la logique dont vous pouvez contempler ici les bénéfiques effets. Moyennant quoi, lorsque vint pour moi le moment de choisir une profession, je n’hésitai pas longtemps, et décidai de devenir tueur à gages.
Comme je ne doute pas que la perspective de me suivre sur cette voie vous allèche, et parce que ce choix vous honore, je me suis résolu à vous dispenser deux ou trois petits conseils qui pourraient vous être utiles. En fait, je me bornerai aujourd’hui à deux questions fondamentales : pour qui travailler, et comment trouver du travail. Lors de ma prochaine conférence, je traiterai plutôt du choix de l’arme, et je puis vous annoncer des surprises.
Choisir un employeur, cela consiste à opter, soit pour le public, soit pour le privé. Dans le premier cas, la seule option qui s’offre à vous est de vous engager dans les services secrets gouvernementaux. Vous y aurez la satisfaction de servir votre pays, et celle de ne jamais risquer la moindre poursuite policière ou judiciaire lorsque vous aurez rempli votre contrat : on voit rarement un État traîner en justice d’un de ses sicaires, sous le prétexte qu’il vient de le débarrasser d’un gêneur. Bref, impunité garantie. Le revers de la médaille, c’est la modicité de ce qui sera votre salaire, et je ne doute pas qu’après le discours de notre nouveau Premier ministre cet après-midi, les crédits alloués à ce département subiront eux aussi les conséquences de la crise.
Dans ces conditions, vous songerez peut-être à offrir vos services au privé. Là, non seulement vous aurez affaire à des employeurs bien élevés, mais surtout, ils se montreront beaucoup plus généreux. En réalité, vos prestations sont de nature si particulière que la rétribution du prestataire est rarement discutée : on vous paiera votre prix, d’avance et sans marchandage. La seule difficulté consistera en ce que, votre activité étant forcément discrète, vous ne pourrez faire de publicité, ni par voie d’affichage, ni par l’intermédiaire des radios et télévisions. Ne restera par conséquent que le bouche-à-oreille, encore faut-il que vous ayez déjà une réputation, ce qui suppose que vous avez exercé auparavant : un sacré cercle vicieux. Mais enfin, l’obstacle n’est pas insurmontable, et si vous avez des amis siciliens ou napolitains, ils pourront vous conseiller utilement, voire vous mettre le pied à l’étrier. Mais je vous conseille, une fois acquis un début de fortune, de négocier votre sortie de la Mafia, car c’est un cul-de-sac où le tueur de base se heurte vite à la difficulté de grimper dans la hiérarchie. Et puis, ces petits juges italiens sont souvent d’une obstination qui frise le mauvais goût.