Du style
Quand j’écris, j’ai un défaut, je le sais : j’emploie trop d’adjectifs ! Naturellement, le fait que je mentionne ce détail implique bien que je suis lucide. Autant que le seraient, par exemple, ces raseurs qui terminent toutes leurs phrases par « Voilà ! », s’ils en étaient conscients, mais... voilà, eux ne s’en rendent pas compte. J’ai pris conscience de ce défaut, à supposer que c’en soit un, il y a quelques années, en écoutant Le masque et la plume, édition littéraire mensuelle : là, j’ai découvert que les critiques des livres avaient horreur des adjectifs ! Il y a aussi les adverbes, que les critiques ne supportent pas. Mais enfin, tout cela est moins gênant qu’un tic revenant sans cesse, à raison de trois ou quatre par minute, y compris... chez les critiques eux-mêmes (écoutez l’émission et tirez vous-mêmes les conclusions qui s’imposent à propos de ces messieurs-dames Fais-ce-que-je-dis-mais-pas-ce-que-je-fais).
J’avoue que, depuis, je me demande aussi en quoi il est MAL d’employer des adjectifs. Les adverbes, je peux comprendre, ceux qui se terminent en ment sont assez laids, on le savait déjà au temps de Molière, lequel avait raillé leur emploi dans Les femmes savantes, lorsque, à l’acte III, louangeant avec excès le poème de Trissotin, l’une de ses laudatrices s’exclame avec enthousiasme « J’aime superbement et magnifiquement : / Ces deux adverbes joints font admirablement ! ».
Donc, je m’efforce de mettre la pédale douce sur ce type d’adverbe, mais je continue de placer des adjectifs partout où il me plaît, et tant pis pour les mécontents qui ne m’ont pas convaincu que j’avais tort. En fait, penser qu’on a raison contre la majorité, ce n’est pas un indice de faiblesse. Et je connais pas mal d’auteurs qui ont des tournures de style, voire de typographie, dont la majorité s’abstient. J’avais été frappé, en lisant Vladimir Nabokov, du nombre de parenthèses et de tirets dont sa prose est parsemée, autre travers qui est aussi le mien et dont je ne me repens pas. Or Nabokov est partout considéré comme un immense écrivain, et il a raté de peu le Prix Nobel de littérature. En outre, on trouve partout son fameux mot : « Il faut à mon avis écrire pour plaire à un seul lecteur : soi-même ». Sans me prendre pour Nabokov, c’est bien ce que je fais.