Éloge de Frédéric Charles
Ces évènements au Japon nous ont permis de voir à la télévision, sans doute pour la première fois, le journaliste Frédéric Charles, que peu de Français connaissaient. En ce qui me concerne, je connaissais au moins sa voix, et depuis plus de quinze ans, puisqu’il est le correspondant permanent de Radio France à Tôkyô. Cette voix, un peu cassée, un peu haut perchée, et le ton sur lequel il faisait ses courts et très rares billets, m’avaient moins frappé que l’étonnement que j’avais eu de l’entendre prononcer correctement le mot kamikaze, puisque Charles est le seul francophone (il n’est pas français, mais suisse) que j’aie jamais ouï dire ce mot à la manière japonaise : pas « kamikaz’ », comme tout le monde dit, mais « kamikazé » ! En effet, la transcription en alphabet latin des mots japonais utilise un « e » muet... qui n’existe pas dans cette langue, et qui est donc mis ici pour un « é ».
Ce détail, je le connaissais depuis l’âge de 18 ans. Je l’avais appris en lisant un ouvrage souvent réédité chez Gallimard, L’enfant d’Hiroshima (en japonais, Shonen-ki, traduit par Seiichi Motono, préfacé par Odette Georges Brunschwig, et publié pour la première fois par les Éditions du Temps (Paris), en 1959. Il s’agissait d’un dialogue entre une mère, Isoko Hatano, et son jeune fils Ichirô Hatano, élève au lycée de Tokyo. Tous deux écrivaient dans le même cahier, qu’ils se repassaient à tour de rôle, alors que la famille était réfugiée à la campagne, avec le père et les plus jeunes enfants. Cet échange dura de 1944 à 1948. Or ce livre, plutôt émouvant, sensible et intelligent comme ses deux auteurs, était suivi d’un lexique indiquant les lettres de l’alphabet latin utilisées pour la transcription du japonais, avec leur prononciation réelle. J’avais ainsi appris que le « l » n’existait pas et se confondait avec le « r » (le célèbre monstre que nous appelons Godzilla se nomme en fait Gojira) ; que le « u » se dit « ou » ; que le « ch » se dit « tch » alors que c’est le « sh » qui se prononce « ch » ; et que le « z » se dit « dz ». Précisions indispensables, convenez ! Plus tard, m’étonnant de cette prononciation défectueuse du mot kamikaze, j’avais téléphoné à l’ambassade du Japon, où l’on m’avait aimablement confirmé que cent pour cent des franophones (à l’exception de Frédéric Charles, par conséquent, et de votre – très humble – serviteur) se plantaient en beauté. Et je n’en fus pas étonné.
(Soit dit en passant, je m’attends que l’habituel cuistre, au pseudonyme qui l’assimile tout naturellement à la notion de catastrophe naturelle, et qui ne dépose ici ses commentaires que pour m’apporter la contradiction, se manifeste une fois de plus. Mais je le préviens que sa prose ira choir dans ma corbeille avec le splash ! de la plaquemine – qui est justement un fruit d’origine asiatique au goût écœurant – lorsqu’elle s’écrasait sur un trottoir de la ville exotique de mon enfance)
Frédéric Charles a gagné le respect de tous en apparaissant sur Canal Plus hier soir, où il vint dire que, vivant à Tôkyô depuis vingt-neuf ans, il n’avait pas la moindre intention de prendre la poudre d’escampette et d’abandonner ainsi ses amis. Cela, sur un ton calme, sans donner de leçon d’humanisme à la BHL, mais déterminé. La prochaine fois qu’il fera une chronique à la radio, écoutez-le, vous entendrez, peut-être pour la première fois de votre vie, ce qu’est un journaliste modeste et consciencieux.