L’a-Lybie du « Canard »
Il y a dans Port-Royal, pièce d’Henry de Montherlant, une réplique dite par la « sœur » Françoise, que j’ai lue aux environs de mes vingt ans (la réplique, pas la nonne), et que je n’ai jamais oubliée. Elle dit ceci : « On lit en saint Matthieu : “Mettez-vous d’accord avec votre adversaire”. Moi, je voudrais y lire : “Vous êtes d’accord avec votre adversaire” ».
Pourquoi une telle entrée en matière pour parler de la Libye et du « Canard enchaîné » ? Parce que ces mots sont une condamnation du sectarisme, que j’ai le sectarisme en horreur, et que, cette semaine, ce journal qui se prétend la grande conscience de la presse française s’est montré plus sectaire que « L’Humanité » et « Le Figaro » réunis.
Je prétends que ne pas aimer quelqu’un ne doit pas nous empêcher de l’approuver si, à l’occasion, il agit bien. Ce qu’aucun parti politique, en France, ne sait faire, et aucun journal politique non plus. Cette semaine, donc, « Le Canard » s’est acharné sur Sarkozy et sur BHL, sous le prétexte que le second a pris le parti des insurgés de Libye, qu’il a conduit leurs représentants à l’Élysée, et que Sarkozy, les ayant reçus, leur a fait la promesse que la France leur accorderait son soutien et s’efforcerait de faire intervenir en leur faveur la communauté internationale, à commencer par l’Europe.
Déluge de sarcasmes : BHL se fait mousser à peu de frais, BHL se prend pour le ministre des Affaires Étrangères, et Sarkozy coupe l’herbe sous le pied du véritable ministre, qui du coup en est furieux.
Ainsi, selon « Le Canard », il aurait fallu attendre encore un peu ; disons, jusqu’à ce qu’il ne reste plus un seul Libyen vivant du côté de Benghazi. C’est odieux, et j’espère que ce journal, dans sa rage de se payer la tête de ses cibles habituelles, perdra quelques lecteurs.
Je sais bien que BHL est souvent ridicule, qu’il soigne sa pub et entretient des réseaux d’amitiés pour être constamment au premier plan. Je sais bien que Sarkozy espère un mouvement de sympathie chez les Français, qui le fera remonter dans les sondages – lequels, en ce moment, lui prédisent une défaite dans tous les cas de figure à l’élection présidentielle. Mais en quoi tout cela leur donne-t-il tort de vouloir qu’on fasse tout pour contrer Kadhafi, que seule la force empêchera de massacrer des dizaines de milliers de Libyens ?
Cette nuit, les Nations-Unies et l’Europe se sont enfin réveillées, et l’on va prêter main forte aux insurgés. Un peu tard, sans doute. Mais qui peut affirmer que ni BHL ni Sarkozy n’y sont pour quelque chose ? Cette constatation ne m’enchante pas, mais je la fais malgré tout.