Goût et connaissance : le choix
D’où vient qu’on accepte ou qu’on rejette (respectivement, que l’on admette ou que l’on condamne) tel ou tel comportement, livre, musique, film, nourriture ou tout ce que vous voudrez ? Selon moi, il y a deux types de raison : la connaissance qu’on en a, ou pas ; ou bien le goût. Mais clarifions un peu.
Si notre choix résulte de la connaissance, nous pouvons le justifier raisonnablement. Par exemple, si un zozo, comme je l’ai entendu hier à la radio, vient prétendre dans un film que le palais de Ceausescu à Belgrade est si grand qu’on peut le voir depuis la Lune – comme d’autres ont prétendu que c’était le cas de la Grande Muraille de Chine –, il m’est facile de démontrer, avec mes modestes connaissances en physique et en arithmétique, que c’est une impossibilité, puisque le pouvoir séparateur de l’œil est d’environ une minute de degré, et qu’à une distance de 384 000 kilomètres, aucun objet de dimension inférieure à cent kilomètres ne peut être distingué : même l’agglomération parisienne tout entière resterait indétectable. Ce type de débat peut donc être tranché sans ambigüité, et la conclusion est indiscutable.
En revanche, si notre choix nous est dicté par nos goûts, il n’y a plus de vérité objective, chacun ressent ce qu’il peut. Ainsi, toutes les personnes qui me connaissent au moins un peu savent que je déteste les oignons cuits et qu’il est aussi impossible de m’en faire manger, que du porc à Ben Laden. Mais je suis incapable de justifier cela, parce que mon dégoût ne résulte pas de mes connaissances en matière de cuisine ! Je n’aime pas, j’ignore d’ailleurs pourquoi, et je m’en fiche. C’est un fait, voilà tout.
Par conséquent, je suis toujours surpris, lorsque je donne un avis, disons : défavorable, sur un film, qu’on me réponde : « Je ne suis pas d’accord avec toi, mais je ne suis pas spécialiste ». Pourquoi vouloir justifier qu’on possède un goût différent du mien ? Pourtant, j’ai entendu mille fois cette objection, qui ressemble à une excuse, mais ne devrait pas en être une, car elle est sans objet.
Plus généralement, je sais qu’on n’est pas responsable de ce que l’on est – et nos goûts font partie de notre nature –, mais seulement de ce qu’on fait. C’est pourquoi je trouve comiques ces foules qui, chaque dernier samedi de juin à Paris, défilent en se proclamant fières d’être homosexuelles, comme si elles y étaient pour quelque chose !