L’enseignement vu par les films
Non seulement l’enseignement est un désastre (principalement en France), mais la façon dont le cinéma le voit (et pas seulement en France) est une calamité. Non, je ne vais pas vous refiler une critique de cinéma, je me suis engagé à ne pas le faire ici, et je me tiens à cette résolution. Mon point de vue est tout autre. Vous allez comprendre.
J’ai vu énormément de films traitant de l’enseignement, et j’affirme que, non seulement ils se ressemblent tous, mais qu’ils brillent par un scénario stupide, prouvant que son auteur ne connaît RIEN à la question et farcit son histoire de trucs de scénariste. Prenons plutôt un exemple, très connu, puisqu’il s’agit du premier film comportant un morceau de rock and roll, le célébrissime Rock around the clock, par Bill Haley et son orchestre The Comets : en anglais, ce film s’intitulait Blackboard jungle, et en français Graine de violence. Il date donc de 1955, il était réalisé par Richard Brooks, la vedette en était Glenn Ford, et il a fait la célébrité de Sidney Poitier, qui n’avait eu que six petits rôles avant cela.
Qu’y voyait-on ? Comme toujours, un professeur était nommé dans un lycée « difficile », et il se trouvait confronté à des difficultés très grandes mais heureusement passagères, parce que tout s’arrangeait assez vite, les méchants élèves se muant en agneaux qui lui mangeaient dans la main, à temps pour le générique de fin (en général, la mise en scène se borne à ceci : on demande aux jeunes acteurs de faire la gueule au début du film, et de sourire à la fin, c’est donc génial).
Et comme presque toujours, étaient au premier plan les problèmes dits « raciaux » – je place entre guillemets ce terme, histoire de rappeler aux cancres et aux électeurs du Front National (pardon pour le pléonasme) que les races n’existent pas dans l’espèce humaine.
Les rebelles du film mangeaient donc très vite dans la main du professeur ? Tous ? Non ! Seul à résister encore et toujours à l’envahisseur, le pire d’entre eux continuait de l’affronter par ses violences – surtout verbales. Ici, cliché inévitable : c’était le plus beau garçon de la classe (ben oui, Sidney Poitier, on imagine), et le plus intelligent. Mais, comme on imagine aussi, le professeur était encore plus malin, sinon il ne serait pas professeur et ne serait pas joué par Glenn Ford, si bien qu’un retournement de dernière minute survenait à temps pour l’épilogue en forme de happy end. Et que les deux personnages principaux devenaient les meilleurs amis du monde.
Cette vision sommaire des difficultés de l’enseignement et de la manière simpliste dont les gens de cinéma voient la solution aux problèmes qu’il affronte rappelle tout à fait les films basés sur la psychanalyse ou la psychiatrie, et dans lesquels un malade mental est guéri en une ou deux séances ultra-rapides, alors qu’un traitement, dans la réalité, ne commence à donner des résultats qu’au bout de plusieurs mois, voire de plusieurs années, après des centaines de séances dont chacune dure environ trois quarts d’heure. Même Hitchcock est tombé deux ou trois fois dans ce travers. Seul Laurent Cantet, à propos d’enseignement, s’en est bien tiré, avec Entre les murs, qui a reçu la Palme d’Or à Cannes en 2008, mais il adaptait le livre écrit par un professeur, François Bégaudeau, et son film ne se terminait pas « bien », comme on dit.