La bourde de Pâques
Décidément, tout se perd. Après les services secrets israéliens, qu’on croyait les plus fortiches du monde en matière d’espionnage, se faisant prendre la main dans le sac dans une affaire récente, voilà que le Vatican, qu’on croyait le plus fortiche du monde en matière de communication, laisse le prédicateur officiel du pape débiter des âneries.
Ledit prédicateur porte un nom charmant, Raniero Cantalamessa : Rainier chante la messe. Mais c’est autre chose qu’il a chanté en lisant récemment en public, et devant le pape, une lettre qu’il prétendait avoir reçue d’un ami juif (c’est bien pratique). Cet ami juif, donc, dont on saura jamais de qui il s’agit, lui écrivait que « Le passage de la responsabilité et de la faute personnelles à la faute collective me rappellent les aspects les plus honteux de l’antisémitisme ». Il faisait allusion aux accusations faites au pape d’avoir couvert des actes pédophiles commis par des prêtres catholiques, y compris lorsqu’il était évêque, et dans son propre diocèse, délits dont il est sans cesse question depuis des mois.
Bref, pour résumer la pensée du prédicateur et de son « ami juif » dont on ne doute pas de l’existence, un pape qui couvrirait des délits de nature pédophiles serait aussi innocent que les six millions de Juifs sacrifiés par les nazis !
Comme le pape lui-même avait ouvert le feu quelques jours plus tôt, en qualifiant d’« ignobles » les tentatives des médias portant atteinte à sa sainte réputation, ce fut le tollé un peu partout. Si le grand rabbin de Rome, Riccardo di Segni, s’est contenté de dire que ces propos étaient « du plus mauvais goût », ailleurs, on prononça de vilains mots : obscènes, répugnants ou offensants étaient les termes les plus doux. Les scandales pédophiles, comparables à « la violence collective » dont ont été victimes les Juifs, évidemment, ça passe mal. Et le rabbin Marvin Hier, du centre Simon Wiesenthal, demande : « Comment peut-on comparer la culpabilité collective imputée aux Juifs, qui a causé la mort de dizaines de millions de personnes innocentes, aux auteurs qui abusent de leur droit et de leur vocation en se livrant à des abus sur des enfants ? ».
Le coupable, M. Cantalamessa, s’est excusé ce matin dans le « Corriere della Sera », et le Vatican a reconnu « le caractère inapproprié – délicieux euphémisme dont s’était déjà servi Bill Clinton au sujet de ses relations avec Monica Lewinsky – d’une telle analogie ». Mieux : c’est juré, ni le Vatican ni le pape lui-même n’étaient au courant de ce que le prédicateur avait l’intention de dire en chaire. Amen, et la faute au lampiste, quoi !
Parions que Cantalamessa, moine capuccin, docteur en théologie, prédicateur du Vatican depuis 1980, auteur prolifique de livres religieux et présentateur de l’émission religieuse À son image sur Rai Uno (télévision publique) est désormais plus près de la porte que de l’augmentation. Il va falloir lui trouver un couvent discret, pas trop près de Rome si possible.