La tyrannie des dates
Y a-t-il la moindre raison de se laisser à ce point influencer par le calendrier ? En ce moment, on ne peut pas allumer sa radio ou sa télévision sans tomber sur un ahuri que nous dit qu’on doit – ou qu’on ne doit pas – faire telle ou telle chose « à la veille de Noël », parce que ce serait propice – ou contraire – à l’esprit de Noël. Moi, cet esprit de Noël, je ne sais pas ce que c’est. Et si on attendait que le Parlement vote une loi dans ce sens ? Que, par exemple, le gouvernement prenne les décrets d’application qui s’imposent ? Je verrai bien une loi interdisant de rouler à vélo sur les trottoirs à la veille de Noël, ou imposant de prendre un parapluie quand on sort à la veille de Noël. Ce ne serait probablement pas plus ridicule que l’obligation de manger du foie gras, boire du champagne – avant d’aller vomir dans le jardin –, chanter des rengaines d’une rare niaiserie, ou échanger des cadeaux...
(N’en déduisez pas que je suis contre les cadeaux. J’en fais et j’en reçois, mais pas à cette période de l’année)
Cette manie me rappelle ce qui traînait partout dans les années qui ont précédé l’an 2000. On ne cessait alors d’entendre des affirmations catégoriques du style « telle horreur est inconcevable à l’aube de l’an 2000 », ou « il serait temps de faire ceci ou cela à l’aube de l’an 2000 », et le fait que ce nombre, 2000, ne soit qu’une curiosité d’écriture des nombres entiers naturels, ce fait ne semblait troubler personne. Autrement dit, l’aspect particulier de cette écriture, un chiffre suivi de trois zéros, est un pur hasard, n’est le symbole de rien, absolument rien, et n’a pas plus d’importance que la position des planètes lors de votre naissance.
Dans ma façon de penser, les symboles n’occupent aucune place. Je reste donc indifférent à tout ce qui semble capital à un tas de gens, et ne me sens obligé à rien de particulier, notamment en fonction du calendrier. Mais je ne suis pas trop seul, puisque, apparemment, un tas de gens y sont tout autant indifférents. Par exemple, Alfred Hitchcock, dans sa monumentale interview par François Truffaut, balayait les lubies des critiques de cinéma, qui voient des symboles psychanalytiques partout dans les films. Il a déclaré qu’il n’y avait aucun symbole dans ses films. Avec cette seule exception : le dernier plan de La Mort aux trousses, quand le train qui emporte Eva Marie-Saint et Cary Grant, qui viennent de se marier, pénètre dans un tunnel. « C’est un symbole phallique ! », a-t-il dit en se marrant.
(Oui, je sais, j’ai perdu mon sujet en route, cette histoire de date. Et alors ? On peut bien s’offrir de temps à autre une petite digression. Vous n’avez pas lu Laurence Sterne ?)