Non éloge de Jacques Chancel
Annonce aujourd’hui de la mort de Joseph Crampes. Si vous ignorez qui c’est, vous le connaissez sous le nom de Jacques Chancel, parce que c’était tellement plus joli, comme nom. Sans surprise, et sachant que les morts sont tous de braves types, les compliments désolés ont plu comme à Gravelotte. France Inter lui consacre la journée entière, et rediffuse un tas de ses Radiocopies, une émission quotidienne qu’il faisait sur cette antenne et qui a duré des dizaines d’années. Par conséquent, personne ne vous dira que Chancel était le roi des lèche-bottes, et je reste poli.
Son exploit le plus voyant a eu lieu à Marrakech, quand il est allé y faire une édition spéciale de Radioscopie, rebaptisée Téléscopie pour la circonstance, car elle a été télévisée – au Maroc uniquement, me semble-t-il, dont je n’ai pas vu les images, mais j’ai eu l’occasion d’en entendre ICI un extrait de dix minutes. Ne vous privez pas de ce morceau de courtisan, qui aurait offusqué Louis XIV lui-même tant c’était indécent. Vous admirerez comme il n’a pas éclaté de rire en écoutant cet abominable tyran qu’était Hassan II se vanter de sa propre « bonté » (c’est au minutage 1:18). Voici donc quelques exemples de la bonté de Hassan II.
Tout d’abord, il est monté sur le trône de Rabat en expédiant son père Mohammed V ad patres, avec la complicité d’un chirurgien suisse qu’on n’a jamais retrouvé ensuite. Ce roi souffrait d’une déformation de la cloison nasale qui lui rendait pénibles les voyages en avion, or il devait se rendre en Chine. Son fils, prince héritier, l’a poussé à se faire opérer, et le chirurgien lui a fait une anesthésie générale, suivie d’une anesthésie locale – ce qu’on ne doit jamais faire, paraît-il. Mohammed V est mort sur le billard, et son fils, que les docteurs de la loi refusaient de nommer roi, les y a contraints grâce au général Oufkir, son âme damnée, qui les a menacés de sa mitraillette.
Hassan II s’estimait propriétaire du Maroc et de ses habitants. Quand une femme lui plaisait, il la prenait sans la consulter, et encore moins son mari si elle en avait un. On la convoquait au Palais, et tout était dit. Il la gardait aussi longtemps que cela lui plaisait.
Un général honnête et âgé était venu se plaindre à lui de la corruption qu’il avait constatée dans ses services. Le roi lui a fait servir un whisky, le général l’a bue et il est tombé raide. Crise cardiaque, a-t-on publié.
Au cours d’un de ses voyages (à Meknès, je crois), un excité ayant tenté de le poignarder en public, Hassan II a donné l’autorisation au général Oufkir de l’égorger. Ce qui fut fait immédiatement, et toujours en public, s’il vous plaît, de sorte que les témoins ne manquent pas.
Le général Oufkir ayant fini par le trahir et tenter de faire abattre son avion qui revenait de Paris, il le convoqua au palais d’été de Skhirat et le flingua de sa main. Puis il fit arrêter toute sa famille : sa femme, ses deux filles et ses deux fils, plus une cousine, fit raser leur maison et envoya tout le monde au bagne. Le plus jeune fils, Abdellâtif, avait... trois ans et demi. Il est resté enfermé dans une cellule obscure, avec sa mère, jusqu’à l’âge de dix-sept ans. À dix-huit ans, il a pu s’évader en compagnie de sa sœur aînée Malika, gagner Tanger et téléphoner à Paris, à l’avocat Kiejman, qui a remué l’opinion publique française. Mais les deux évadés ont vite été repris et ont fait quatre ans de prison supplémentaires. Interrogé par un journaliste français sur ces évènements, le roi répondit que, comme tout le monde, il avait son « jardin secret » !
Vous pouvez également lire quelques détails sur cette magouille politique que fut la Marche Verte, organisée par Hassan II au détriment de l’Espagne. C’est croquignolet.
Voilà pour Chancel, qui fut, par la suite, régulièrement invité au Maroc (je l’ai vu dans un avion que je prenais à Casablanca, il voyageait en première), aux frais du roi naturellement.