Le Maroc, à l’abri de la « révolution arabe » ?
Beaucoup de pays arabes sont secoués par des velléités de changement, qu’on baptise un peu vite du nom de « révolutions » parce qu’on manque de vocabulaire, et auxquelles la faiblesse des dirigeants de ces pays laisse toutes leurs chances – l’exemple de Kadhafi le dur-à-cuire prouvant a contrario que ce n’est pas si simple.
Or il ne suffit pas que le peuple soit mécontent pour qu’un régime tombe. Au Maroc, le peuple est mécontent depuis des décennies, surtout les jeunes qui, même diplômés, ne trouvent pas de travail, et sont indignés par une corruption galopante dont le roi lui-même donne l’exemple déplorable. Pourtant, il y a très peu de chances – ou de risques, comme vous voudrez – pour que la monarchie soit jetée à bas. Si pourris que soient le roi, sa famille, ses hommes de confiance, ses amis, ses fonctionnaires, voire son armée, les Marocains ne remettent pas en cause la monarchie. Beaucoup moins que les Britanniques, par exemple. Et cela tient à leur histoire.
L’État marocain existait déjà deux cents ans avant qu’Hugues Capet, en 987, monte sur le trône de France ! Au septième siècle, l’Islam né en Arabie entreprit de coloniser ses voisins puis l’Afrique du Nord tout entière, avant de gagner l’Espagne, et enfin la France, où il fut repoussé après la victoire française de Poitiers en 732. Et, alors que la Tunisie et l’Algérie, christianisées, avaient résisté, les cavaliers arabo-musulmans rencontrèrent peu de résistance au Maroc où, bien que peu nombreux, ils restèrent, forçant facilement les Berbères en place à s’arabiser et à s’islamiser. La première dynastie du nouvel État marocain fut celle des Idrissides, en 788, puis leur succédèrent les Alaouites, et c’est toujours cette dynastie qui règne à Rabat. Les Marocains sont si fiers de cette situation qu’ils sont très rares à vouloir un autre régime. Naturellement, leurs souverains successifs en profitent...
Toutes les intrusions étrangères qui tentèrent de suivre se heurtèrent à un bide magistral ! Les Portugais, les Turcs (qui, eux, s’installèrent en Algérie), et enfin les Espagnols et les Français, ne firent que passer. La colonisation la plus durable et la mieux acceptée fut celle des Français, parce que le gouvernement de la France eut la bonne idée, en 1912, d’envoyer au Maroc un résident, le maréchal Lyautey, qui aimait le pays et ses habitants, et refusa la tentation de les « assimiler ». Hélas, il ne resta que jusqu’en 1925, et fut remplacé par... Pétain, véritable baderne qui se fit haïr, au point que l’ancien roi, Hassan II, raconte dans ses mémoires, Le défi, que lui-même avait projeté de l’assassiner de sa main ! Son père Mohammed V l’en empêcha.
Lyautey, c’est surprenant pour un colonisateur, est toujours vénéré au Maroc. Un grand immeuble d’habitation du centre de Casablanca porta longtemps son nom, il y eut une rue Lyautey derrière la Grande Poste, et sa statue, édifiée dans les jardins du Consulat général de France, est en plein centre-ville, entre la préfecture et le Palais de Justice !