Mathématiques « modernes » ?
Récemment, j’ai eu entre les mains une partie d’une collection, Mathématique moderne, très belle, de livres édités en 1964, en Belgique. Ces livres, superbement illustrés par leur auteur, le professeur Papy, qui enseignait à Bruxelles, avaient été conçus pour initier les élèves du secondaire à ce qu’on appelait alors, et à tort, les mathématiques « modernes ». Cet enseignement a eu cours en France et dans d’autres pays comme le Maroc, après 1968, et les élèves s’y intéressaient, mais il a été supprimé au bout de quelques années, parce que les parents n’y retrouvaient pas ce qu’on leur avait appris en leur temps, et que, se plaignaient-ils, ils n’y comprenaient rien. On y parlait des ensembles, des relations et de la logique, ce qui n’a rien d’abscons (je vous conseille de trouver, pour le lire, Logique sans peine, de Lewis Caroll, l’auteur d’Alice au pays des merveilles, qui était aussi mathématicien), mais ces braves gens en étaient restés à l’arithmétique de base : les quatre opérations et les cas d’« égalité » (terme impropre, on devrait dire isométrie) des triangles... Exemple unique où l’opinon publique a fait reculer une science, et c’est en France que cela s’est passé !
J’ai pu lire également un texte émanant alors d’un groupe de mathématiciens qui écrivaient sous un pseudonyme, N. Bourbaki. Et l’un de ceux-là écrivait que l’expression mathématiques modernes n’avait aucun sens, que la mathématique n’avait pas plus à être moderne qu’à être multicolore ou giboyeuse, et qu’en somme, une science (car c’en est une, et la plus fiable, puisque ses lois sont immédiatement validées, au contraire des autres sciences qui ne font qu’avancer des théories, qu’on réfute parfois), une science, donc, n’a aucun lien avec l’époque où elle apparaît. Elle existe, car personne ne l’a inventée. On la découvre, en somme, et c’est tout.
J’approuve, mais j’étends cette notion à l’art. Il me paraît absurde de parler d’art contemporain, comme on va beaucoup le faire avec cette réouverture, aujourd’hui, du Musée Picasso. Je l’ai récemment écrit, l’art se définit, selon moi, par le fait qu’il crée de la beauté, et que l’artiste est le véritable créateur : les aides qu’il peut réunir autour de lui moyennant finance ne sont pas des artistes, mais plutôt des employés, même si, promus élèves du maître, il leur arrive d’avoir du talent. Mais alors, ils ne restent pas longtemps dans cette position subalterne, et on connaît des apprentis de Rembrandt et de Leonardo qui sont devenus célèbres.