Ne pas juger sur la mine (de plomb)

Publié le par Yves-André Samère

Lorsque, à 14 ans, brevet en poche, je dus entrer à l’internat parce que ma petite ville n’avait aucun lycée, l’économat de ma nouvelle école nous remit une liste de fournitures in-dis-pen-sables, aussi longue et insipide qu’un édito de BHL ou un discours de François Fillon.

Or, au nombre des instruments destinés au travail de classe, il y avait « un crayon à mine de plomb ». Mes parents et moi n’avions jamais entendu parler d’une telle rareté, et, depuis le début de ma scolarité, je n’avais utilisé que des crayons tout à fait ordinaires. Oncques ne m’était venu à l’idée qu’il existât des crayons fabriqués d’une manière spéciale, et je ne voyais pas en quoi le plomb marquerait mieux le papier.

Dès lors, l’angoisse me prit : faute de trouver à la papeterie du centre-ville l’objet fatidique qu’on exigeait pour ma trousse d’élève de seconde, n’allait-on pas me refuser l’accession à l’internat ? Me chasserait-on comme un malpropre ? Serais-je plutôt, tel un nouveau Petit Chose, mis au ban de ma classe, dont j’avais déjà le désagrément d’être l’élève le plus jeune ? (Et croyez-moi, ce dernier point, ce n’est pas de la tarte)

Je ne savais pas, et mes parents non plus, qu’aucun crayon n’a jamais eu de mine faite de plomb. Ce n’est qu’une expression, une façon (bête) de parler. Si les crayons possédaient vraiment une mine en plomb, des générations d’écoliers qui, séchant sur un devoir, ont sacrifié à cette habitude de mâchonner leur crayon d’un air pensif, auraient peuplé les hôpitaux puis les cimetières, sachant que le plomb, métal lourd, est très toxique. Mais voilà, au Canada, les crayons ordinaires sont appelés « crayons de plomb », et, pour ne rien arranger, le graphite dont leur mine a toujours été composée s’appelait plombagine au XVIIe siècle, parce qu’on trouvait que ce charbon avait la couleur du plomb.

Inutile de dire que je ne trouvai pas le moindre crayon à mine de plomb, et que je découvris, à la rentrée, que mes nouveaux camarades n’en avaient pas non plus ! Mais eux ne s’étaient pas cassé la nénétte à chercher, même dans le Catalogue des objets introuvables...

J’en ai tiré la leçon que, face à un problème insoluble, le mieux est encore de l’ignorer. Depuis, j’ai toujours procédé ainsi, et m’en suis trouvé bien.

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